D'ici quelques années,
disait Kessel en 1929, on ne comprendra guère ce récit
concernant les conditions de vol des personnels chargés
du transport du courrier sur les Lignes Latécoère
et Aéropostale de Casablanca à Dakar. Les machines
volantes seront si rapides et si sûres, les instruments
de bord et leur usage si perfectionné que le vol deviendra
une navigation paisible.
Kessel espérait qu'on n'oublierait pas les premiers courriers
du désert, car la voie aérienne jusqu'à
Dakar représentait une énorme somme de dangers :
panne moteur, se perdre en mer, se faire assassiner par les tribus
dissidentes qui peuplaient le Rio de Oro et la Mauritanie, mourir
de soif sous l'aile d'un coucou en panne, au fond d'une vallée
perdue dans les immensités de sable
comme le faisait remarquer le capitaine Roig chargé
de la mission d'exploration en 1923.
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Les appareils
Les appareils commerciaux
n'existaient pas encore. Ceux qui servaient à la reconnaissance
ou aux bombardements, les plus utilisables pour le transport,
avaient une vitesse de 120 à 150 kms à l'heure.
Ils tenaient 4 ou 5 heures au plus.
Leur moteur n'offrait aucune sécurité. Il n'était
pas question de TSF. Avec ces appareils quasi préhistoriques,
Latécoère fonda la 1ère
ligne aérienne.
Avec les Breguet XIV puis Breguet 14 après
1920, modèle daté de 1917, le courrier fut porté
régulièrement de Toulouse à Casablanca.
De 1917 à 1927, le Breguet 14 fut fabriqué à
8 200 exemplaires.

" N'ayant pour toute protection qu'un
mince pare-brise, pour tout support qu'un appareil et un moteur
peu sûrs et cent fois rapetassés, navigant sans
autre instrument qu'une boussole primitive, les pilotes traversaient
les ouragans, les brouillards épais et les montagnes perfides
en suppléant à tant de dénuement et de pièges
par leur intrépidité, leur expérience, leur
instinct ".
À bord de mêmes avions, plus vieux de quelques années,
ils affrontèrent le soleil, le sirocco, le désert,
les Maures insoumis.
Pour 2000 kms de parcours, ils ne trouvaient comme points de
ravitaillements et de refuge que trois petites taches blanches,
trois fortins entourés de fil de fer barbelés :
Cap-Juby, Villa-Cisneros, Port-Etienne. Une panne de moteur
les obligeait à se poser entre ces réduits perdus
dans les sables ; et alors ils avaient le choix entre la captivité
chez les tribus nomades menaçantes ou la mort par la soif.
"Nous ignorions tout du régime
des vents et des brumes, raconte D. Daurat chef d'exploitation des Lignes Latécoère,
à Joseph Kessel (Vent de sable). Notre tactique était
de voyager au-dessus des nuages en espérant l'éclaircie.
Elle était mauvaise ; il nous a fallu du temps pour nous
apercevoir qu'il valait mieux voyager au ras du sol en ne perdant
pas la côte de vue. C'est ainsi, dit-il, que volant au-dessus
d'une mer de nuages et me croyant au-dessus d'Alicante, je me
retrouvai sur les Baléares ; je me dirigeai vers la côte,
un orage terrible me barra la route, je me retrouvai à
Valence. Quand nous atterrîmes mon hélice était
toute rongée".
"Nous n'avions que des moyens de fortune, de vieux appareils
de guerre, des moteurs qui marchaient au hasard, de mauvais terrains,
pas d'accord avec l'Espagne.
Il fallait de vrais aventuriers. Je conçois mal encore
comment on est arrivé en moins d'un an à organiser
un service hebdomadaire régulier Toulouse-Maroc et à
partir d'octobre 1922, des départs quotidiens dans les
2 sens".

L'entreprise Latécoère se développa,
la côte africaine fut jalonnée de points d'atterrissage
jusqu'à Dakar après une mission d'exploration en
1923. Par la suite, une base d'hydravion fut construite à
Saint-Louis du Sénégal. Et puis, une flotte fut
équipée pour assurer la distribution du courrier
jusqu'en Amérique du Sud.
Les premiers avions utilisés par la ligne furent :
- des Breguet 14 ;
- des Laté 26.
La 1ère
liaison aérienne commerciale Casa-Dakar fut effectuée
le 1er juin 1925 par les pilotes Georges
Drouin et Émile Lécrivain et le mécanicien
Jean Lavidalie à bord de deux Breguet 14, après
le vol de reconnaissance de la mission Roig effectué en
1923.
À partir de 1925, le courrier fut descendu
chaque semaine en moins de deux jours de Casablanca à
Dakar et remonté de Dakar à Casablanca.
Les conditions étaient difficiles en
raison du peu de terrains d'atterrissage de secours, de la brume
épaisse, de la chaleur, du vent de sable, des moteurs
et des appareils fragiles, les voyages se faisaient par équipes
de deux ; un appareil étant prêt à porter
secours à l'autre si une avarie le forçait à
se poser en cours de route.
Tous les pilotes ont connus les mêmes
étapes et les mêmes dangers.
On peut voit sur cette carte que la ligne
Agadir-Dakar est jalonnée de nombreux lieux-dits qui
portent le nom des pilotes ayant subi des avaries ou des problèmes
divers à ces endroits.
On peut constater qu'ils furent nombreux.
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Le vent de sable, la brume épaisse
et même les sauterelles
En raison des conditions difficiles, du peu
de terrains d'atterrissage de secours, de la brume épaisse
fréquente, de la chaleur, du vent de sable qui gêne
la visibilité et s'infiltre partout, des pannes moteurs
et des appareils fragiles, les voyages se faisaient par équipes
de deux ; un appareil transportait le courrier, l'autre appareil
était prêt à porter secours si une avarie
le forçait à se poser en cours de route. Tous les
pilotes ont connus les mêmes étapes et les mêmes
dangers. Peu de terrains étaient propices à un
atterrissage en urgence et plus encore pour deux appareils et
ensuite, il fallait pouvoir repartir et échapper aux Maures
dissidents en cas de dépannage. Dans l'esprit de tous,
il fallait que le Courrier passe coute que coute ! Mais, on n'oubliait
jamais de rechercher un camarade égaré.
Une nuée
de sauterelles en 1928 - Tout le monde ou personne
En 1928, à bord d'un Laté 26,
le pilote Guerrero convoie
le courrier vers Casablanca. Soudain une nuée de sauterelles
qui s'écrasent partout. La température monte :
95 -115 -120 et le compte-tour décline. Le pilote est
obligé de poser l'avion. Le radio de bord avertit le Chef
de poste d'Agadir Alexandre Baile qui
se trouve à 300 kms. Celui-ci part immédiatement
en dépannage emmenant avec lui un interprète et
un radio mécanicien ; il s'avère que l'avion de
Guerrero n'est pas réparable.
L'avion dépanneur, un Laté 26 gréé
en triplace, ne peut normalement pas prendre six hommes en charge.
Baile discute, veut laisser temporairement les deux interprètes
au sol, mais pour Guerrero "c'est tout le monde ou personne".
Baile finit par accepter - Guerrero prend les commandes du Laté
26 de dépannage.
Le 480 Renault ronfle à merveille mais
la roue droite heurte une dune ! L'aile droite s'est gauchie
dans les virages.
Finalement Guerrero ramène son monde sauf, ainsi que l'avion.
Les captivités - la vie - la mort
Les captivités commencèrent
dès 1925.
1925 - les pilotes Rozès et Ville
Deux avions Breguet 14
descendaient de conserve vers le Sud. L'un avait à bord
le pilote Ville , l'autre
le pilote Rozès
Ils avaient quitté Agadir et dépassé l'Oued
Draa, lorsque l'appareil de Ville perdit rapidement de
la hauteur au-dessus du Rio del Oro et réussit à
se poser sans dommage sur le sol. Son coéquipier tourna
quelque temps au-dessus de l'avion cloué au sol.
Voyant qu'il ne redémarrait pas, il vint se poser ; il
faut savoir, nous dit Joseph Kessel, que le meilleur pilote ne
peut jamais être sur de se poser sans dégât
sur un terrain inégal qu'on ne connait pas.
Toute blessure au train d'atterrissage, à l'hélice
ou aux ailes peut rendre tout départ impossible et alors,
c'est la panne en territoire désertique avec l'alternative
de mourir de soif ou d'être pris par des nomades.
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Rozes
atterrit et laissa tourner son moteur pour pouvoir repartir rapidement.
Il courut vers Ville pour examiner l'appareil, quand surgirent
des dunes environnantes une dizaine de Maures armés.
Les deux pilotes se dirigèrent vers l'appareil de Rozes
capable de s'envoler.
Les Maures les rejoignirent. Des discussions
par gestes s'en suivirent. Les Maures voulaient les retenir prisonniers.
Les pilotes armés se défendirent.
Trois Maures tombèrent, les deux pilotes se hissèrent
le plus rapidement possible dans la carlingue sous les coups
de feu et réussirent à s'échapper.
Les deux hommes arrivèrent indemnes à l'escale
de Cap Juby.
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Été
1925 - Sauvetage de
naufragés d'un Vapeur échoué (le Falcon
II)
Deux mois après, le
pilote Léopold Gourp venant
de Cap Juby et allant à Dakar, rendit compte à
Deley , chef
d'Aéroplace de Port-Étienne, qu'il avait aperçu
sur la plage de la baie de St-Cyprien, au Nord-Est du Cap Barbas,
l'épave d'un vapeur échoué. Une tente était
dressée sur la plage, un mat portait un pavillon français.
Des hommes faisaient des signaux. Gourp ajouta qu'il avait
aperçu environ 60 kms plus loin, un rezzou d'une trentaine
de Maures tous montés qui se dirigeaient vers le Nord.
Gourp et son coéquipier, après avoir fait
escale et changé d'avions se dirigèrent vers Saint-Louis.
À ce moment-là, le capitaine Laloge, commandant
le Cercle de la baie du Lévrier, téléphona
à Deley, l'informa qu'une goélette espagnole venait
de débarquer 6 ou 8 hommes appartenant au Vapeur de
la Santé Falcon II, qu'elle avait recueillis mourant
de soif.
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Ces hommes racontèrent que
le capitaine du vapeur naufragé avait partagé son
équipage en deux groupes.Il avait gardé avec lui
les blessés et avait envoyé le second groupe à
pied vers Port-Étienne. C'est ce 2ème groupe qui
venait d'être recueilli par la goélette.
Le capitaine Laloge demanda à Deley si les
avions de la ligne pouvaient prendre en charge le groupe des
blessés.
Deley trouva son camarade Collet couché
avec une forte fièvre ; ils décidèrent néanmoins
d'aller chercher les naufragés le lendemain matin. Le
lendemain 12 aout à 6 heures, deux avions décollèrent,
l'un piloté par Deley emmenant le mécanicien
Sirvin, l'autre piloté par Collet.
Après une heure vingt de vol, les avions survolèrent
le rezzou puis le lieu de naufrage et atterrirent entre deux
dunes. Les naufragés furent embarqués dans les
coffres à courrier et dans les places pour passagers sous
les yeux des Maures tenus en joue par le mécanicien. Ils
furent sauvés.
|
Les interprètes
Depuis
la prise de contact rapide et sanglante que Ville et Rozès
avaient eue avec les insoumis, l'Aéropostale avait décidé
de joindre un interprète chleuh ou maure à
chacun de ses pilotes, pour survoler les zones dissidentes.
Lorsqu'une panne obligeait le courrier à se poser dans
les sables, l'interprète servait d'intermédiaire
voire de bouclier aux aviateurs.
S'il apercevait, surgissant des dunes du désert ou des
falaises côtières, une troupe de guerriers, il courait
à eux, attiraient leur attention par les gestes.
Puis commençaient les palabres.
L'interprète démontrait que les hommes ailés
n'étaient pas des soldats, que leur mission était
toute pacifique, amicale même.
|
Et surtout, il s'attachait
à prouver que les pilotes représentaient une riche
marchandise, que leur vie intacte rapporterait une belle rançon
aux ravisseurs.
Les ayant convaincus, il revenait vers les pilotes dont il avait
la charge et ne les quittait plus tout le temps que durait leur
captivité s'efforçant de leur éviter des
mauvais traitements, de leur procurer de la nourriture.
Neuf fois sur dix, ces hommes réussirent à protéger
ceux qu'ils accompagnaient. Reine et Serre assurèrent
qu'ils devaient leur vie à l'interprète qui, par
ses promesses et ses explications, détourna d'eux les
fusils prêts à partir. Lors de sa 1ère captivité,
si Reine revint sans blessure, c'est que son interprète
reçut à sa place un coup de poignard, s'étant
jeté entre lui et son agresseur (J. Kessel, Vent de sable,
1928-9).
L'interprète Abdallah fut blessé
au cours d'une ces captures.
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Lundi 21 décembre
1925- 1ère capture
du pilote Marcel Reine.
Marcel Reine (27 ans) partit d'Agadir tôt le matin avec
l'avion Breguet n°180. Il était accompagné
de l'interprète marocain Elhomomic Ben Ahmed. Il
fit une centaine de kilomètres et soudain vit des bouffées
de fumée sortir de son capot. Le moteur s'arrêta
net. Reine était à 800 mètres d'altitude
; il n'y avait pas de terrain favorable à sa portée
pour se poser. Il se dirigea en planant vers le rivage et se
posa à 300 m de l'océan sur un terrain plein d'euphorbes
et d'épineux. Son train d'atterrissage céda. Il
se retrouva sur les coffres sans une égratignure et chercha
un terrain pour les secours qui ne manqueraient pas d'arriver
quand son absence serait signalée.
|
À ce moment-là,
arrivèrent des Maures de toutes parts de la tribu des
Sbadia à l'attitude menaçante.
Reine et son interprète furent frappés.
L'interprète essaya de parlementer et de protéger
Reine, mais reçut un coup de poignard.
Reine lui cria : "Dis leur qu'il y a plein d'argent
dans l'avion".
Aussitôt, les assaillants se précipitèrent
vers l'avion et l'interprète expliqua aux plus calmes
d'entre eux que le pilote et lui représentaient une forte
rançon.
Reine et son interprète furent finalement rachetés
par le Service de Renseignement à Tiznit.
|
Samedi 22 mai
1926 - Capture de Jean
Mermoz et de son interprète
Cette fois ce fut le pilote Jean
Mermoz
qui fut capturé avec son interprète ;
Villa Cisneros signala que le courrier Cadasam (Cas-Dakar-Samedi)
piloté par Mermoz, parti de Juby, n'était pas arrivé.
Le nouveau chef d'aéroplace de Juby, Jaladieu (qui fut aussi
celui d'Agadir -17 octobre 1926) prévint sans attendre
les autorités de Mauritanie et la direction ; les pilotes
Ville et Collet partirent sans tarder à leur recherche
mais ils n'aperçurent aucune trace, aucune présence
suspecte.
Extraits du rapport de Mermoz :
"À 10 kms environ de la mer, claquement sec, le moteur
tourne à 1000 tours. Je me prolonge péniblement
jusqu'à une étendue plate à 500 m de la
côte ; je m'y pose normalement.
Le soir je n'ai rien vu. Incertitude complète, L'interprète
ne connait pas la région, ne peut me donner aucun renseignement.
Je m'installe dans un coffre et j'y passe la nuit."
"Dimanche 23 mai - Le vent de sable soufflant en
rafales, la chaleur et les conserves font descendre rapidement
le contenu de notre bombonne d'eau, insuffisante. Incertitude
aussi complète que la veille. Je décide alors,
pour le lendemain, de marcher 25 à 30 kms dans le Sud.
Si nous n'avons rencontré ni Juby, ni Maures, nous reviendrons
à l'appareil le même soir pour repartir le lendemain
vers le Nord.
|
Nous passons donc une autre
nuit dans l'appareil.
" Lundi 24 mai - Nous partons au jour avec l'interprète
transportant ce qui nous reste d'eau, de tomates, une boite de
pain et 2 boites de sardines.
Je laisse un mot sur le livret moteur indiquant la direction
que nous suivons et nous marchons sans arrêt sur la plage
jusqu'à midi environ.
Nous apercevons un vapeur passant à 500 m environ de la
côte, remontant vers le Nord : semblant ne pas voir nos
signaux, il passe outre. Nous continuons notre chemin une heure.
De plus en plus de sable et de dunes, pas de végétation,
ni de Juby. Nous revenons sur nos pas et nous arrivons exténués
aux premières heures de la nuit, à l'appareil.
Nouveau repos dans un coffre jusqu'au lendemain."
"Mardi 25 mai - Réveil au jour. J'arrive,
avec un bout de fer et une pierre, à enlever le bouchon
de vidange du radiateur et à mettre un peu d'eau dans
une bonbonne. Nous n'avons pas bu depuis 12 heures et le vent
emplit de sable les conserves dès que la boite est ouverte.
Nous partons vers le Nord par la plage avec l'intention de continuer
notre route jusqu'à la limite extrême de nos forces
et de ne pas revenir à l'appareil. Après 2 heures
de marche, j'aperçois au loin des Maures et des chameaux,
venant vers nous".
Mermoz sera libéré grâce à une rançon
de 1000 pesetas.
|
Juillet 1927
- Le pilote Marcel Reine est fait prisonnier pour la deuxième
fois ; le pilote Vidal sera capturé en septembre
1927.
Ces aventures douloureuses se sont bien terminées.
Ce ne sera pas le cas de celle du 11 novembre 1926 en raison
de l'hostilité des Maures qui contrôlent le désert.
Novembre
1926 - Mort de Gourp-Erable-Pintado
Après avoir quitté
Cap Juby, deux avions de la ligne Casa-Dakar survolent le Rio
de Oro ; ils se dirigent vers l'escale de Villa Cisneros. L'un
des avions est piloté par Léopold Gourp
ingénieur, pilote, (celui-là même qui avait
repéré un an plus tôt les naufragés
du vapeur Falcon II) chargé du courrier, avec son interprète
Maure. L'autre avion qui le convoie a à bord le pilote
Henri Erable , le mécanicien
espagnol Alonzo Pintado. Il fait très beau et les
deux avions naviguent côte à côte.
À mi chemin, au-dessus du Cap Bojador, le moteur de l'avion
piloté par Gourp (1906-1920) a une défaillance.
L'atterrissage se fait normalement. Erable vient se poser
à côté de Gourp.
Personne à l'horizon, l'avarie demande un peu de temps
de réparation. Ils pouvaient partir sur l'avion d'Érable
mais Gourp ne veut pas laisser son appareil qu'il peut
réparer. Il transborde le courrier dans l'avion d'Erable
et garde avec lui le mécanicien Pintado. Érable
s'envole.
Mais, inquiet, celui-ci revient rapidement se poser près
de l'avion de Gourp craignant de laisser ainsi ses camarades.
En atterrissant, il touche de l'aile.
Comme il saute de la carlingue, cinq Maures armés apparaissent.
Les aviateurs essaient de repartir mais l'avion ne veut rien
savoir.
|
Ces Maures ont à leur
tête un déserteur d'un goum français nommé
Ould Aj Rab. Tandis que les prisonniers marchent devant
la troupe, Ould Aj Rab se met à tirer. Gourp,
Érable et Pintado tombent sur le sable. Les deux derniers
ont été tués sur le coup. Gourp respire
encore. Il a reçu plusieurs coups de poignard et fait
le mort. Épouvanté, l'interprète qui n'a
pas été touché, supplie qu'on épargne
Gourp qui, fait-il savoir, représente une importante
valeur d'échange. Ould Aj Rab ne veut rien savoir
mais son lieutenant ficelle Gourp sur la croupe de son
chameau et se dirige vers Cap Juby pour négocier le rachat
du prisonnier. On donne à boire et à manger à
Gourp et on applique des compresses de crottin de chameau
sur ses plaies.
Après 2 jours de tourments, Gourp réussit
à défaire ses liens et boit d'un trait la teinture
d'iode et l'acide phrénique qu'il porte sur lui. Ses ravisseurs
le croient mort et l'abandonnent dans le désert. Lorsque
l'interprète parvient à Cap Juby, deux pilotes
prennent l'air immédiatement et trouvent leur camarade
encore vivant. Gourp est transporté à l'Hôpital
de Casablanca où il sera amputé d'une jambe ; il
s'éteint au bout de 10 jours, le 5 décembre 1926,
l'intestin perforé par ce qu'il a bu.
Quand Ould Aj Arab se présente quelques jours plus
tard auprès du colonel de la Peña, il sera
récompensé. Avec cet argent, Ould Aj Arab
aurait armé un rezzou de 200 fusils pour s'attaquer
à Port-Étienne. Il y sera tué.
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Le 2 mai 1927- Sauvetage de l'équipage uruguayen du Cdt
Larre-Borgès
L'hydravion uruguayen piloté
par le commandant Larre-Borgès tente le raid transatlantique
avec trois hommes à bord ; il tombe en mer à une
centaine de kilomètres
de Cap Juby. On apprend que l'équipage a pu gagner la
côte et a été fait prisonnier par les Maures.
Le 5 mars, Mermoz découvre ce qui reste de l'hydravion
et signale sa position. Les pilotes Riguelle et Guillaumet
se posent près de la carcasse et recueillent des renseignements
auprès des Maures.
Le 8 mars, les pilotes Reine et Antoine déposent
près des ravisseurs les émissaires du gouvernement
espagnol et s'envolent sous une grêle de balles.
Le 10, les mêmes viennent prendre l'équipage
uruguayen racheté et le ramène à Cap Juby.
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Juin 1928- 3ème capture du pilote Marcel Reine
Il y eut encore des pannes
et des captivités mais elles furent bénignes jusqu'à
cette aube de juin 1928 où l'avion qui portait le pilote
Marcel Reine, l'ingénieur Édouard Serre
et l'interprète marocain Abdallah vint heurter
dans la brume une haute dune du Rio de Oro.
Édouard Serre, polytechnicien et aviateur de guerre,
faisait partie de la direction de l'Aéropostale ; il était
chargé d'inspecter les terrains ; il se trouvait comme
passager dans l'avion piloté par Marcel Reine qui
allait de Casa à Dakar. Reine avait la charge du
courrier en ce jour d'été. Comme ils survolaient
le Rio de Oro où se trouvaient les tribus maures les plus
dangereuses, la nuit et la brume aveuglèrent Reine.
Les instruments de pilotage sans visibilité n'existaient
pas encore. Reine crut être au-dessus de la mer,
alors que la dérive l'avait entrainé au-dessus
du désert où se trouvaient des hautes dunes de
300 mètres. Reine volait justement à cette
altitude. Il aborda plein moteur une colline invisible.
|
Mais, seul le train d'atterrissage
toucha et fut arraché comme un fétu. Reine
réussit à poser l'avion avec un équipage
intact.
Sortis indemnes de l'appareil inutilisable, les trois hommes
furent presqu'aussitôt capturés par des R'Guibat
qui exigèrent une rançon démesurée.
Les pourparlers durent 4 mois. Pendant ce temps, Reine
et Serre vécurent en esclave des hommes bleus chameliers
dans des conditions épouvantables.
Pendant ces 4 mois, ils furent ballotés de campement en
campement, souffrant de soif, de malnutrition, du soleil, sans
vêtement, ni linge, effectuant les plus pénibles
besognes.
Ils furent séparés, puis se retrouvèrent
sans se reconnaître. Le prix de leur rançon fut
établi après des mois de marchandage. On remit
à Cap Juby deux êtres squelettiques, couverts de
plaies et de vermines.
En France, leurs noms devinrent célèbres et puis
on oublia
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31 Janvier 1929- disparition du pilote Lécrivain et
du radio Ducaud
Le 31 janvier 1931, la brume nocturne et les flots de l'Atlantique
engloutissent le pilote Émile Lécrivain
dit Mimile, dit Milou, ainsi que le radio Pierre
Ducaud
et leur appareil, un Laté 26, près de Mogador
; avec un dernier message : "Pilote trop occupé,
ne peux pas vous répondre".
Le pilote Lécrivain avait ouvert le 1er courrier
postal Casablanca-Dakar. Il avait plus de 2 000 heures de vol
et parcouru
plus 300 000 kms.
Joseph Kessel disait que tous les pilotes
de la ligne sont morts à la tâche.
Malgré cela la santé, la gaité, le travail
et la camaraderie occupaient merveilleusement leur existence.
Ils parlaient de leurs vols, de leurs accidents, de leurs rencontres
avec les tempêtes, et avec les Maures aussi simplement
que font les artisans d'un métier paisible et sédentaire.
De temps à autre, un silence très court arrêtait
les propos animés : on avait, par une association fatale
de pensées, rappelé le nom d'un compagnon disparu.
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Source et extraits
"Vent de sable" -
Joseph Kessel, 1929.
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