Parmi les Chioukh
(cheikh au sing., chioukh au plur.) du village Ihchach, Cheikh
Driss fut le plus autoritaire et le plus redoutable pour
ses administrés.
Il était militaire de formation. Il avait fait la guerre
de 39-40 mais on ne savait rien de son grade. Il parlait très
couramment le français. Doté d'une santé
de fer, c'était un homme assez ventripotent, la tête
toujours enveloppée d'un grand turban blanc. Il avait
la voix rauque
d'un lion.
Il était originaire de Taghjijt dans le Sud marocain,
avait une peau basanée et des yeux perçants.
Il portait une djellaba blanche assez vaste qui cachait la volumineuse
serviette traditionnelle marocaine. On disait que cette serviette
était son bureau. Elle contenait un révolver armé,
des menottes, des tampons, des carnets, des sifflets, un encrier
Il habitait rue 2, mitoyen de l'immeuble du Charjane, une grande
maison qui fut la 1ère école publique.
Il avait un bureau près de Tassouqt.
Il était tout le temps flanqué d'un mokhazni
qui ne le quittait pas, même à son domicile. Les
gens avaient donné à ce dernier le pseudonyme de
Tagoulla ce qui signifie en tachelhit : grosse soupe de
farine d'orge.
De nuit, Cheikh Driss faisait des perquisitions dans les maisons
des célibataires pour combattre la prostitution clandestine.
Il était à l'écoute de tout ce qui bougeait
dans ce paisible village. Il circulait seul avec son mokhazni
dans les rues car les gens quittaient carrément la rue
pour ne pas avoir à le rencontrer.
Lahsen Roussafi se souvient :
" En sortant de l'école de Talborjt, nous passions
automatiquement voir si Cheikh Driss se trouvait au bar du Coq
d'Or situé rue de la Mosquée tout près de
chez Mme Navillot. S'il était là, on pouvait jouer
à Tassouqt sur la place ou à Iggui Lbod sans crainte
".
" Un jour que je vendais de la menthe ramenée de
Talborjt comme tous les soirs à Tassouqt, occupé
à servir un client, je ne le vis pas arriver par derrière
: il me gifla violemment par surprise avec une force telle que
je crus qu'on m'avait frappé avec une pelle. Je me trouvais
au milieu de Tassouqt, désorienté, la corbeille
entre les mains, ne sachant ce qui se passait. Je rendis compte
à ma mère. Il faisait nuit, on se rendit chez lui
à sa maison. Le mokhazni Tagoulla nous reçut et
le cheikh arriva. Maman lui remit deux pains de sucre et lui
expliqua en français que Lahsen était orphelin
de père et vendait de la menthe le soir après l'école
pour aider sa famille ".
" Je ne le savais pas madame, répondit-il, mais il
était assis sur mon chemin " !
En 1956, après l'Indépendance,
il eut des comptes à rendre.
Recherché par l'Armée de Libération, il
se suicida chez lui à Akka.
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