Campagnes antiacridiennes

Un épisode de la vie d'un pilote de l'aéronavale
1957-1960

 


Dans les années 50, dans la vallée du Souss, les invasions de criquets pèlerins se firent régulières.
Les colons du Souss assistèrent impuissants pendant plusieurs années à la destruction de leurs récoltes puis s'organisèrent. Un centre antiacridien fur créé avec de plus en plus de moyens aux Aït Melloul ; les produits chimiques utilisés de plus en plus toxiques ne permettaient plus aux autochtones qui auparavant se régalaient de ces bestioles, d'en faire un repas ou de les vendre.

L'avion permettait un épandage des produits antiacridiens mais il en fallait un grand nombre et la Marine était sollicitée chaque année pour compléter le parc d'avions épandeurs.

 

 

 

Dans la lutte antiacridienne, l'Aéronavale sollicitée, mit à disposition un avion JU-52 muni d'une zone d'épandage ; il faisait partie de la 56 S et il était piloté par René Bourneton.
L'un des bons moments de ma vie de pilote, raconte René Bourneton, fut mon affectation auprès du gouvernement chérifien avec le JU 52 et son équipage. Nous recevions les ordres du Ministère de l'Agriculture chérifien via un officier de liaison.
Les vols se déroulaient avant neuf heures le matin, heure où les criquets sont secs et peuvent prendre leur envol.
Ce vieil appareil de conception allemande d'avant la GM2, en tôle ondulée, lent mais robuste qui en cas de fort vent debout, pouvait à peine avancer, était parfait pour ce genre de boulot car il volait lentement et tenait bien la basse altitude avec ses 3 moteurs (J.-C. Laffrat).
Les campagnes de lutte anti-acridienne avaient pour équipage :
CDT aéronef Mtre René Bourneton - S/M mec de bord Jean Bartissol - Radio de bord Mtre Duchet. Pas de copilote.

La Marine, donc l'escadrille 56 S, mit pour la lutte antiacridienne cet équipage et un avion JU 52 à la disposition du Ministère Chérifien de l'Agriculture pour 3 années consécutives 1957-1958-1959 du 1er octobre jusqu'au 1er mars de l'année suivante c'est-à-dire pendant la période d'activité des criquets pèlerins.

 

Le JU 52 fut modifié par le SEA de la base avec une rampe d'épandage, d'un réservoir provenant d'un avion Avro Lancaster et d'une pompe entrainée par une hélice de ventilo, placée sous l'avion entre les deux roues, actionnée par un frein depuis le poste de mécanicien.
Le produit mis dans le réservoir, était en 1957 du DDT liquide et en 1958-1959 du HCH, 100 fois plus toxique que le DDT.
La liaison Marine avec le ministère de l'agriculture était assurée par le LV Leyrat du PC/OPS de la BAN détaché au PC des Aït Melloul. Le LV Leyrat ne faisait pas partie de la 56 S et n'a jamais volé sur le JU 52 pendant la période concernée.
Le JU 52 épandage était parqué face au hangar SEA de la base pendant la période de traitement. Pour la mise en œuvre du remplissage en HCH, c'était l'équipe civile de la Lutte anti acridienne PC des Aït Melloul qui en avait le responsabilité.

 

Les vols se déroulaient avant 9 heures le matin, heure à laquelle les criquets sont secs et peuvent prendre leur envol.
Les vols du JU 52 étaient effectués en rase motte à 5 ou 10 mètres ce qui nécessitait une vigilance accrue. La difficulté provenait du fait que lorsque surgissait un champ de tomates ou de toute autre culture comestible, il fallait cesser immédiatement l'épandage au risque d'anéantir les productions. Il était interdit de traiter les criquets en vol car ces derniers en obstruant les orifices de refroidissement d'huile moteur provoquaient surchauffe et arrêts des moteurs.

 

 

Les criquets pèlerins se cantonnaient au Maroc dans les années 50 dans les zones arides du continent africain.

Durée du développement : œufs : 12 à 15 jours ; larves : 4 à 6 semaines ; adultes : longévité 3 mois.
La femelle fécondatrice cherche un terrain meuble et suffisamment humide ; avec son abdomen, elle fore un trou, enfouit les œufs (une centaine) puis rebouche le trou.
La larve qui sort ensuite, a la forme d'un petit ver de terre. René Bourneton raconte qu'il a vu en Mauritanie des km2 recouverts d'une épaisseur de 5 cm de larves verdâtres formant une gadoue dans la région d'Akjoult.

Pour passer de l'état de larve à celui d'adulte, le criquet subit 5 mues.
Le criquet ne peut voler qu'à une température comprise entre 20 et 40° C. Quand il fait trop chaud, l'essaim se pose si possible à l'ombre. Il peut transiter de nuit.

Il consomme son propre poids (soit 2 grammes de feuilles chaque jour). Il a été calculé qu'une tonne de criquets consomme chaque jour une quantité de végétaux équivalant à celle qu'ingurgiterait dix éléphants ou 20 chameaux.

La vitesse de déplacement varie selon le vent ; on a vu des essaims faire 300 à 1 000 kms au-dessus de la mer.

 

Avant les traitements, les populations mangeaient les sauterelles ; René Bourneton se souvient qu'au souk d'Inezgane entre 1955 et 1960, il y avait des gros tas de sauterelles grillées que les autochtones vendaient. René se souvient des sauterelles qui séchaient au soleil sur les toits plats des mechtas dans l'Anti-Atlas.

 souvenir de sauterelles -Lahsen Roussafi

 


René n'a jamais eu l'occasion de rentrer dans un essaim de sauterelles en vol, effectuant des rase-mottes tôt le matin quand les sauterelles sont encore au sol de 6 h à 10h du matin.
En transit vers le lieu d'épandage, il eut droit à la queue d'un vol et les vitres furent sales d'insectes écrasées ; quand René ouvrit le petite fenêtre à droite du Ju 52, il reçut à 200 km/heure un criquet sur son casque !

À la fin de son affectation, René Bourneton reçut en remerciement du personnel du PC chérifien des Aït Melloul, un criquet métallique ! L'officier de liaison marine-civile quant à lui, aurait reçu le mérite agricole marocain.

 

 

Source : René Bourneton, pilote 56 S