Premier
souvenir de sauterelles

Je me trouvais avec mes parents
au bled Haha exactement à Aït Âmer
au sommet du fameux toboggan. Notre maison familiale paternelle
se trouvait sur un plat en allant sur Mogador.
Je me souviens bien de cette année 1942-43 et de
l'invasion des sauterelles. Le ciel était totalement
rouge ou plutôt rose. La terre épousait la même
couleur, on ne voyait pas un caillou.
Mes grands-parents remplissaient les greniers, veillaient toute
la nuit pour ne pas louper ce don de Dieu.
Le souvenir qui ne me quitte pas à ce jour est celui de
mettre ma tête sur la cuisse de ma grand-mère qui
utilisait le moulin à pierre pour moudre ces sauterelles
cuites et séchées.
Le ronronnement du mouvement
m'endormait et je rêvais à ces insectes à
l'abdomen volumineux, plein de "blé", les ufs
jaunâtres, nous disaient nos parents.
J'assistais à la préparation
du déjeuner :
Dans un plat en terre cuite, ma grand-mère avait mis à
peu près 1 kg de farine d'orge grillée, autant
de sauterelles moulues, ¼ de litre d'huile d'argane, une
poignée de thym moulu et un peu de sel. Le tout bien mélangée
avec de l'eau de pluie.
On était une dizaine de personnes autour du plateau et
on buvait du petit lait frais, aromatisé d'une plante
ressemblant au thym, utilisée dans les gourdes à
écrémer le lait.
C'était suffisant pour toute la journée
en 1942-43 !.

Maman nous préparait
la même chose dans les années 50 à Ihchach.
Elle nous conseillait au cours du ramassage des sauterelles de
ne pas toucher aux sauterelles dont la tête était
dans un trou :
"Les scorpions interpellent
les sauterelles pour embrasser leur tête comme font les
autochtones et du coup se font dévorer !"
Il fut un temps où les gens disaient
que le passage des sauterelles ramenait une année agricole
florissante.
Les sauterelles ne nous faisaient pas peur, dit Lahsen Roussafi.
Je les ai connues à l'âge de 3 ou 4 ans au Fendeq
de Chaffeî Ben Ômar à Ihchach.
Les sauterelles se vendaient à Tassouqt (place
d'Ihchach) à longueur d'année durant les années
40/50.
C'était un marché florissant pour ceux qui en faisaient
de grands stocks.
Les meilleures sauterelles étaient celles qui portaient
des ufs.
Quand l'invasion arrivait, c'était la fête durant
des nuits et des nuits.
On les ramassait la nuit sur toute la partie où se situe
le Lycée Youssef Ben Tachfine. On allait même à
la grande forêt d'eucalyptus bordant la plage jusqu'à
Ben Sergao. On en remplissait des grands sacs transportés
par des ânes et des mulets.
À Ihchach, sur le terrain libre près d'Iggui
Lbod, tout en profitant des fontaines, chacun utilisait ses
propres moyens pour les faire cuire à grand feu. On utilisait
des fûts de 200 litres, des grandes marmites en terre cuite
et des jarres en terre.
La veillée se poursuivait jusqu'à l'aube en discutant,
en chantant.
On étalait ensuite les sauterelles
sur des nattes pour les faire sécher et on stockait.
Une fois les ailerons enlevés, elles
étaient délicieuses, mélangées à
l'argane et à la farine fumée au thym.
Si les fermiers de Houara et de Chtouka ainsi que les colons
du Souss criaient à la catastrophe, à Ihchach on
remerciait Dieu pour l'envoi de ces volatiles et on priait pour
leur prochain retour ! Lahsen Roussafi