La maison de Lahsen
 

 

 

 

 

 
 
 
 
 
Dans un premier temps, la famille de Lahsen occupa une maison du Fendek Chaffeî là où Lahsen et sa soeur sont nés, Lahsen le dimanche 15 juillet 1939 et sa sœur Ijja, le lundi 5 août 1942.
La famille occupa plusieurs maisons à Ihchach avant de construire cette dernière sur les terrains domaniaux de Sidi Ali sur la rive gauche du Tildi près de l'école primaire.
Cette maison traditionnelle fut construite entre 1948 et 1949. Sans étage, elle était entièrement faite en terre et en paille sur environ 150/160 m2, construite à la main par Fatima, la maman de Lahsen.
Les toits étaient plats mais n'étaient pas faits pour supporter une terrasse : il était même défendu d'y accéder, pour éviter toute détérioration de la toiture. Il arrivait que des toits cèdent ou gouttent au cours des grandes pluies et Lahsen montait pour colmater les fissures avec la matière que sa maman lui tendait.
Cette maison comme toutes celles de la rive gauche du Tildi n'avait ni eau, ni électricité (seule la briqueterie qui se trouvait à 10 m de la route de Tildi de ce côté là avait l'électricité). On s'éclairait avec des bougies enfermées dans des cages vitrées. On utilisait aussi des chandelles huilées mises dans un tout petit carré de terre cuite et quand on manquait d'huile, c'était la graisse qui prenait le relais.

 

 
Cette maison sans étage comprenait 8 pièces donnant sur une cour intérieure. Une pièce plus ou moins grande était occupée par une famille ; 4 pièces ainsi étaient louées : 3 à des couples et la plus grande à une famille avec enfants. Une petite pièce était réservée pour recevoir les femmes malades que Fatima soignait. Fatima disposait d'une pièce pour elle ; la soeur mariée de Lahsen qui avait 2 enfants (un bébé et une fille de 16 mois) en occupait une autre et Lahsen occupait seul, la très petite.
Les pièces donnaient toutes sur la cour intérieure qui donnait la lumière et le renouvellement de l'air.
 

 
Chaque pièce (sauf celle de Lahsen qui n'en avait pas) disposait d'une minuscule fenêtre juste pour respirer et pour jeter un coup d'œil sur la cour intérieure où se trouvait au milieu un petit jardin de 12 m2 plein de basilic qui éloignait les moustiques.
La seule fenêtre qui donnait sur l'extérieur était celle de la pièce de la maman qui contrôlait l'entrée et permettait d'avoir un regard sur la rive droite du Tildi.
Durant ses 4 années au lycée YBT, Lahsen utilisait la bougie pour s'éclairer dans sa minuscule pièce ; il n'avait ni table, ni chaise pour faire ses devoirs et ses dessins industriels. Un sac d'orge et un demi sac lui servaient à stabiliser difficilement sa planche à dessin d'autant que l'équerre, le té et le rapporteur étaient très grands en ce temps-là. Il n'y avait ni lit ni placard.

Le sol de toute la maison était en terre battue, couverte de nattes en jonc épais souple. On laissait les souliers ou les babouches à l'extérieur de la pièce. On dormait sur des tapis ou sur des peaux de mouton avec des couvertures en laine épaisse et des oreillers en alpha fin.
Tous les jours, ces effets étaient ramassés dans un coin et une fois par semaine, ils étaient secoués et mis à sécher au soleil.
La pièce de la maman était la seule à être équipée d'un lit en bois et d'un matelas en alfa ("*****" précise Lahsen).
 

 
 

 
 
 
 

 
Chaque famille possédait un ou deux coffres qui recevaient les vêtements quotidiens et ceux des jours de fête. Aux murs de la pièce, on accrochait des djellabas, les haïks, une glace, des chapelets, des calottes.
Dans la pièce, les parents dormaient d'un côté, les enfants de l'autre. Le matin au sortir de la pièce, on embrassait ses parents ou les locataires. On embrassait la main de l'homme et la tête de la femme avec un grand respect. On faisait la même chose avec les parents avant d'aller dormir.

Chaque famille avait une table basse pour servir les repas. Le repas était frugal, plat unique de couscous ou de tagine. Il n'y avait pas d'entrée, ni de dessert, ni de boisson autre que de l'eau fraiche dans un verre en terre provenant d'une gargoulette miniature maculée de cette matière noire qui donnait un bon goût et assouplissait la soif.
A l'entrée de la maison, dans une sorte de vestibule, il y avait de la place pour les vélos, les jarres d'eau, les couffins pour chaque famille. La cuisine était assez grande pour contenir quatre emplacements pour cuire le pain et pour faire les tagines, le couscous, etc. On utilisait du charbon et du bois pour la cuisine.
Pour conserver la viande (en particulier celle de l'Aïd El Kebir), on la faisait sécher comme les poissons (taghroust ou salaison) de même pour les surplus de tripes ou de lièvres. Pour les légumes, on séchait les navets beldi et les figues de barbarie qu'on mangeait avec la harira.
La maison en terre était en quelque sorte climatisée. On était à l'aise en été, le basilic était à portée de main pour chasser mouches et moustiques. Les familles se rencontraient dans la cour, discutaient de la vie. On aimait le kanoun : chaque famille mettait de l'encens et on embaumait les djellabas et les haïks des femmes.


Il y avait une toilette à l'extérieur pour toutes les familles (réservée aux femmes le jour, la nuit pour les hommes) ; Lahsen allait dans les toilettes de l'école toute proche.

Autour de la maison, il y avait un grand espace entouré d'une épaisse haie de jujubiers : on y trouvait de tout : de la menthe, des oignons, des herbes pour la cuisine, des tomates cerises, du basilic, des ruches, des poulaillers avec poussins, et des chèvres.


Les ruches appartenaient à Fatima qui s'en occupait pour récupérer les nouvelles abeilles et le miel, assistée de Lahsen qui jetait de la cire à bougie ou de la graisse dans le kanoun pour que sa maman ne soit pas attaquée par les abeilles quand elle accédait aux galettes de miel. Elle gardait une part pour ses enfants et les locataires et vendait le reste.

Les volailles appartenaient aussi à Fatima. Mais c'était Lahsen qui était chargé de récupérer les œufs pondus sous les cactus et il avait toujours très peur de tomber sur un serpent qui cherchait aussi les œufs.
Quand les poussins sortaient de leurs coquilles, la sœur de Lahsen se chargeait de coller les coquilles avec de la bouse de vache sur le mur de la pièce n°8 : ce geste étant censé protéger les poussins et leur permettre de grandir ensemble. La bouse sèche servait à allumer les feux rapidement. Elle était ramassée et séchée quand la plante moutarde fleurissait et distillait une bonne odeur.

Les chèvres appartenaient à Fatima ; elle tirait le lait et arrivait à en faire un peu de beurre pour constituer des pommades protectrices pour le visage, les mains et les cheveux. Elle vendait de temps à autre un agneau et cela les faisait tous pleurer. Fatima avait une vache à Tildi, moitié-moitié avec Moulay Ali de Tildi. Elle possédait également deux vaches avec sa sœur ainée dans la région de Mazagan (El Jadida actuelle).

L'un des piliers fondamentaux qui assurait la cohésion des habitants d'Ihchach c'était l'entraide. Le voisin qui s'appelait Lahoucine Nghoussane avait aidé à poser le toit avec des bois ronds, des roseaux et de la terre. Lahoucine travaillait comme peintre chez M. Ronsin d'où son surnom de "Nghoussane" jusqu'à sa mort.

À Ihchach, les maisons étaient ouvertes ; à Tassouqt, l'Amine (aide du Cheikh) y tenait boutique. Tout objet perdu ou trouvé était amené chez cet homme de confiance. Ceux qui avaient perdu un objet venaient chez lui le récupérer. L'objet ne lui était remis que s'il était accompagné par deux témoins qui signaient un PV et juraient devant Dieu, la main sur le Coran, que l'objet lui appartenait bien.


En ce temps-là, les gens ne se plaignaient pas beaucoup et géraient au quotidien leur vie comme ils pouvaient avec ce qu'ils avaient.
Un autre temps ! …, nous dit Lahsen.