Les écoles coraniques d'Ihchach
Timsguidawine
 
 

 
 
 
 
 
Le village d'Ihchach possédait 6 écoles coraniques (timsguida en tachelhit, msid en arabe) en comptant celle de la mosquée de prières (timsguida ntzalit) :

1 : au Fendeq. Le fkih était Si Omar ;
2 : à la "Domine" près de chez Lahsen Roussafi; le fkih était Si Mhend Abidar ;
3 : en face du Hammam Abatkok ; le fkih était Si Mhend Abidar ;
4 : à la Mosquée centrale. Plusieurs fkihs se sont succédés : Si Brahim, Si Ghouzala, Si Mbark, Si El Madani ;
5 : en face du Four traditionnel ; le fkih était Si Dow ;
6 : rue 6 à quelques mètres du Four ; le fkih était Si Ahmad Ou Lahcen Nabih.
 

Le passage par ces écoles était une obligation morale pour tous les petits garçons et pour toutes les petites filles. J'en ai fréquenté trois pendant mes études coraniques durant les années 45 à 49.


J'avais une planche où le fkih écrivait les lettres puis des phrases coraniques.
En général, l'école était composée d'une seule salle où étudiaient 25 à 30 élèves. Les filles se mettaient d'un côté et les garçons de l'autre.


On s'asseyait par terre sur des nattes en position de yoga. On n'avait pas un pantalon comme actuellement qui aurait pu nous gêner.

 
 
Tous les élèves confondus étaient assis au même niveau, le fkih seul était assis sur un sac d'orge, couvert de plusieurs peaux de moutons ou de chèvres très soyeuses ; il dirigeait avec un long roseau. Il avait une vue "aérienne" sur toute la medersa, la salle d'études où étaient accrochées les planches et où se trouvait une jarre d'eau pour se désaltérer.
L'une des principales tâches du fkih était de nous inculquer les principes des cinq prières journalières. Tous les élèves se retrouvaient à l'école à l'heure de la 2ème et de la 3ème prière de la journée.
À tour de rôle, un élève allait dans la petite cour mesurer avec les pas, l'ombre d'un point fixé par le fkih. Quand il comptait 8 pas et demi, l'élève faisait l'appel à la prière. On se mettait derrière l'Imam en bon ordre et on accomplissait le rituel. Quand l'ombre s'allongeait à 17 pas, c'était le moment de faire l'appel pour accomplir la 3ème prière.
Les filles faisaient la prière comme les garçons mais après leurs rangées. Elles ne lançaient pas d'appel mais savaient comment faire pour l'heure des prières.

 
 

 
Il arrivait que des personnes viennent se joindre à notre groupe pour prier. Le principe dit que la prière collective vaut 27 fois la prière individuelle.
(À la maison, Lahsen qui était un petit garçon quand son père est mort, conduisait les prières pour sa mère, sa grand-mère et ses sœurs. C'était lui qui clôturait les vœux pour la bénédiction de ses parents, de ses grands-parents, pour la communauté, les vivants et les morts. L'enfant allait embrasser la tête de sa maman et de ses grands-parents).

De loin, les gens à l'extérieur entendaient un grand brouhaha collectif. Chacune et chacun de nous, apprenait la phrase de façon répétitive, autant de fois qu'il fallait pour l'assimiler. On se faisait aider par un outil recommandé par notre maître. C'était un morceau de bois de la taille d'un crayon épais qu'il fallait gratter sur la planche mécaniquement tout en balançant le corps en avant et en arrière. Cette méthode nous coupait du monde et nous laissait seul vis-à-vis de la planche écrite. De temps à autre, on touchait le menton avec ce morceau de bois chauffé pour sentir le degré de concentration.
Une fois le texte entier appris par cœur, on levait le doigt pour demander l'autorisation de réciter devant le fkih. Celui-ci gardait la planche (tallouht) et l'élève, debout, récitait dans le vacarme.


 

 
Il nous faisait réciter alors les 2 dernières leçons et la nouvelle dans la foulée. A ce moment, il donnait son accord pour aller effacer la planche dans une petite pièce, puis passer dessus un induit de calcaire blanc qu'on égalisait avec l'avant-bras. Une fois séchée, le fkih écrivait la suite.
C'était la grande fête, une fois le coran entier appris par cœur.
La planche qui devenait grande dans le temps était magnifiquement dessinée par l'élève et le fkih. Les versets coraniques en couleur avec des encres (pas celle habituelle de la laine brûlée) étaient utilisés.
Durant 3 jours, les élèves sortaient collectivement pour faire le tour du village et nous débordions sur Talborjt où il y avait des gens riches, pour ramasser les dons pour faire une fête réussie.
Les filles ne nous accompagnaient pas. On nous offrait de l'argent, du sucre, du thé, des dattes, des fruits secs, des œufs, des eaux de Cologne. Le tout était placé dans le chouwari d'un âne d'emprunt. On cœur on disait :

" Bida, bida li llah, bach nzoueq louhti, louhti ând taleb, taleb fi jenna, jenna mah loula,
hal ha moulana, moulana-moulana mateq teê rjana…
"

" Un œuf, un œuf au nom de Dieu, pour honorer ma planche, ma planche est chez mon fkih, mon fkih est au paradis,
le paradis est ouvert, Dieu, Dieu…n'interrompt pas notre espoir …
"

NB : œuf, œuf = évoque quelque chose de blanc = qui vous appartient, qui ne vient pas du vol, etc.

Le lauréat bien habillé en blanc était à l'avant, brandissant sa grande planche entourée de basilic.
Les femmes au passage, lui lançaient des youyous, certains hommes touchaient la planche avec les deux mains, s'essuyaient le visage et la poitrine. Les petits enfants touchaient la djellaba du lauréat et demandaient à leurs parents de les mettre aussi à l'école coranique comme celui-là.
Les encouragements pleuvaient sur le futur "âlem" savant.
Chaque jour au retour, tout était donné au fkih qui orchestrait l'évènement et organisait la fête finale à la mosquée en présence des parents d'élèves et d'autres fkihs invités.

Je me demande aujourd'hui comment on parvenait à se concentrer dans ce bain de mille bruits …
Comment cette "colle" a tenu jusqu'à ce jour après 70 ans, 90 ans même.
Je prie, nous prions, en récitant machinalement ce que nous avons appris sur ces planches, bien que la "tête" parfois soit ailleurs.