Il nous faisait réciter alors
les 2 dernières leçons et la nouvelle dans la foulée.
A ce moment, il donnait son accord pour aller effacer la planche
dans une petite pièce, puis passer dessus un induit de
calcaire blanc qu'on égalisait avec l'avant-bras. Une
fois séchée, le fkih écrivait la suite.
C'était la grande fête, une fois le coran entier
appris par cur.
La planche qui devenait grande dans le temps était magnifiquement
dessinée par l'élève et le fkih. Les versets
coraniques en couleur avec des encres (pas celle habituelle de
la laine brûlée) étaient utilisés.
Durant 3 jours, les élèves sortaient collectivement
pour faire le tour du village et nous débordions sur Talborjt
où il y avait des gens riches, pour ramasser les dons
pour faire une fête réussie.
Les filles ne nous accompagnaient pas. On nous offrait de l'argent,
du sucre, du thé, des dattes, des fruits secs, des ufs,
des eaux de Cologne. Le tout était placé dans le
chouwari d'un âne d'emprunt. On cur on disait :
" Bida, bida li llah, bach
nzoueq louhti, louhti ând taleb, taleb fi jenna, jenna
mah loula,
hal ha moulana, moulana-moulana mateq teê rjana
"
" Un uf, un uf au nom de Dieu, pour honorer
ma planche, ma planche est chez mon fkih, mon fkih est au paradis,
le paradis est ouvert, Dieu, Dieu
n'interrompt pas notre
espoir
"
NB : uf, uf = évoque quelque
chose de blanc = qui vous appartient, qui ne vient pas du vol,
etc.
Le lauréat bien habillé en blanc était à
l'avant, brandissant sa grande planche entourée de basilic.
Les femmes au passage, lui lançaient des youyous, certains
hommes touchaient la planche avec les deux mains, s'essuyaient
le visage et la poitrine. Les petits enfants touchaient la djellaba
du lauréat et demandaient à leurs parents de les
mettre aussi à l'école coranique comme celui-là.
Les encouragements pleuvaient sur le futur "âlem"
savant.
Chaque jour au retour, tout était donné au fkih
qui orchestrait l'évènement et organisait la fête
finale à la mosquée en présence des parents
d'élèves et d'autres fkihs invités.
Je me demande aujourd'hui comment on parvenait à se concentrer
dans ce bain de mille bruits
Comment cette "colle" a tenu jusqu'à ce jour
après 70 ans, 90 ans même.
Je prie, nous prions, en récitant machinalement ce que
nous avons appris sur ces planches, bien que la "tête"
parfois soit ailleurs.
|