Souk El Had N'Talborjt
 


 

 
Le Souk el Had (Souk du dimanche) de Talborjt se déroulait tous les dimanches sur le terre-plein en dépression entouré de faux poivriers et d'eucalyptus, cerné par le boulevard Moulay Youssef, le boulevard Diégo Brosset et la rue du Professeur Calmette.
Le souk commençait en réalité le samedi après-midi et se terminait le dimanche à la tombée de la nuit.
C'était un souk sans muraille, ni barbelés mais bien réglementé. Il avait quatre accès.
 
 

 
 
En observant le souk depuis l'hôtel Moderne du Boulevard Diégo Brosset, on pouvait voir la première entrée au niveau d'une baraque où les vendeurs devaient s'acquitter d'une taxe municipale en fonction de la nature et de la quantité des produits à vendre. Ils recevaient un ticket qu'ils accrochaient aux balances. Si le contrôleur du souk ne trouvait pas le ticket, le vendeur s'exposait à la saisie et au paiement d'une taxe double et en cas de récidive à la mise en fourrière des marchandises à saisie.
Le deuxième accès se faisait du côté de l'école musulmane de filles, essentiellement pour les animaux bâtés ou non. Le vendeur déchargeait et payait le gardien municipal pour la garde de son animal dans cette vaste écurie en plein air.
En troisième et quatrième accès on avait deux escaliers symétriques pour les piétons, un du côté de la mosquée et l'autre du côté de la rue Calmette.
 
 
 

 
À droite de la baraque des taxes se trouvait le marché aux puces ou d'occasion où se tenaient trois ou quatre spécialistes à qui l'on confiait la marchandise à vendre tels que vélos, motos, tapis, vêtements usagés, ustensiles de cuisine, plateaux et théières, magnétophones.
C'est là que Lahsen avait acheté sa bicyclette pour 8500 F.
Les vendeurs à la criée (dellal) tournaient au milieu des gens en criant les prix : "Qui dit mieux, une fois, deux fois, personne ne peut ajouter ? Adjugé au dernier ".
Deux écrivains publics étaient là pour rédiger l'acte de vente et d'achat. L'acheteur payait la somme et une commission pour le papier timbré, et le vendeur payait une commission au dellal.
Il y avaient aussi, les tailleurs, les cordonniers, les forgerons ceux qui "faisaient avec leurs mains", qui réparaient les théières et les bijoux, ceux qui manipulaient les fers à souder pour la curiosité et le plaisir des gamins.
Les gargotiers étaient à droite côté arbres et contre les talus dans des baraquements à quelques mètres de la Pharmacie Lansade.
 
 
 
 
 
Au milieu du souk se trouvaient les légumes et les dattes du pays dans des sacs de 200 kg.

Le souk était approvisionné par de petits producteurs maraîchers qui apportaient leur production de fruits et légumes à dos d'ânes dans des chouaris ou dans des carrioles faites de bric et de broc et les carrioles et les ânes se trouvaient relégués sur des parcs le temps du souk.
Cet endroit était chargé en couleurs et en odeurs diverses très fortes, des splendides navels éclatantes de soleil, toutes sortes de légumes colorés sur le sol, des tas de bouquets de menthe, de chiba, de coriandre et de persil, des tas d'épices bien agencés, des olives, des citrons confits, des pois chiches, des fèves.
 
 
 
 

 
À gauche, on trouvait les vendeurs de tissus, de babouches, des foulards de Paris pour couvrir la tête des femmes qu'on appelle "babariz". Les vendeurs d'habits neufs étaient en général des vendeurs juifs.
 
 
 

 
Un peu plus loin, du côté des escaliers qui conduisaient à l'hôpital Lyautey se trouvaient des poulaillers grillagés. Là, on égorgeait et plumait. Les plumes étaient vendues pour faire des oreillers, des coussins, des matelas au crin d'alfa venant des Ida ou Tanane ou de kapok.
 
 

 
 

 
Un peu plus bas sur la gauche, on avait les charbonniers et sur la droite, des coiffeurs, des suceurs de sang avec leurs petites trompettes, des ophtalmos.
Les dentistes étalaient une centaine de dents arrachées avec des pinces d'électriciens. Ensuite venaient les parcs des animaux, ânes et dromadaires, puis les abattoirs et la vente de viandes au détail ou en parts.
Les jeunes garçons étaient particulièrement attirés par le parc à "bourricots" gardé par des surveillants. Leur plus grand plaisir était de s'introduire dans le parc, armés de leurs "tireboulettes", les poches pleines de pierres, de s'approcher des ânes et d'imiter le gloussement d'une ânesse en chaleur. Immanquablement [disaient-ils] leurs cris mettaient les ânes en émoi et il leur était facile de sortir leur "tireboulette" chérie et quand une pierre atteignait la pauvre bête entravée, elle poussait des cris de douleurs qui alertaient le gardien qui se mettait à courser les garnements qui prenaient leurs jambes à leurs cous … le tout en pleine débandade au sens propre comme au figuré !

(D'après les souvenirs d'Alexandre Kaladgew, Michel Coeffic, Pierre Le Cars, Lahsen Roussafi, Régine Terrier, Marie France Dartois.)
 
 

 
 A propos de souvenirs, en cherchant dans mes archives
Gadiries, j'ai retrouvé ce dessin du souk de Talborjt que j'ai réalisé
en 1953 à l'école Ste Croix j'avais 12 ans 1/2.
(Pierre Le Cars)

En 1953 et à l'âge de 11 ans, je circulais dans ce souk pour voir justement le côté des poteries, terres cuites en tous genres.
Je fréquentais aussi quand j'avais faim le côté des dattes que les commerçants de Taghchicht, Akka exposaient dans de grands sacs.
D'un simple regard, ils savaient que nous avions besoin d'une poignée de dattes pour apaiser notre estomac.
(Lahcen Roussafi)

En 53, j'étais encore une enfant de Talborjt et j'accompagnais Bacha au souk et partout où il y avait de la musique, du bruit et des odeurs.
(Marie-France Dartois)
 

 
 
 
 

 
À quelques mètres de là, on trouvait les Halka
un certain Abdallah Bakchich*,
des chanteurs berbères,
des conteurs de mille et une nuits,
des acrobates du Tazeroualt de Sidi Ahmed ou Moussa,
des magiciens,
des jeux de trois cartes,
des jeux de dés,
des jeux de la ficelle à nœuds,
des soufis qui écrasaient des morceaux de verre avec leurs pieds nus jusqu'à les réduire menus sans se blesser,
des charmeurs de serpent,
des charmeurs de scorpions,
le dompteur d'âne qui réduisait ce dernier à l'état de mort apparente alors que le public lui infligeait les pires tracasseries,
les frères clowns avec lesquels on riait jusqu'aux larmes, le tout en berbère tachlhit.
 


Il y avait aussi des sardines grillées dorées dans des plateaux en alu sortant du four Chafii : 10 pour 1F, 25 pour 2 F.

Les saucisses, les brochettes étaient là parmi les nuages de fumée odorantes, des casse-croutes à 5 et 10 F, des pois chiches et fèves bouillies et assaisonnées de sel, d'huile d'olive et de cumin pour 3 F.
 

Pour regagner Yachech, les gamins s'amusaient à des concours de toutes sortes de pets qui faisaient oublier le chemin à parcourir à pieds à travers la montagne qui séparait Talborjt de Yachech.

En face de l'école des filles de Mme Fabre, se tenait la fête foraine.
Il y avait là des jeux de loterie à 3 ou 5 plateaux tournants. 10 F pour 3 numéros gagnants assiettes, plateaux en porcelaine, etc...

Il y avait aussi "Marina Christina" qui était une très belle espagnole qui dansait et charmait tout le monde avec ses castagnettes, surtout les légionnaires qui lui jetaient de l'argent.
Les enfants essayaient de voir sous ses mille jupes tourbillonnantes.
Elle aimait danser avec Blacky, un marocain brun qui était souple comme un élastique.

Un petit studio de photo ambulant faisait des photos avec des habits de cow-boys, d'indiens, de pirates.
 

 
Un souk inoubliable !
 

Bas-relief en terre cuite de Françoise Faucher-Moreau
2010-2011