Le Port d'Agadir


Souvenirs d'enfance de Michel Granger

 


Venant de Casablanca, les Granger arrivèrent à Agadir par le Pullman du Sud, probablement en mars 1949 selon le souvenir de Michel Granger qui n'avait pas 4 ans. Il y avait sa mère, Anne-Marie Granger, qui attendait un enfant, sa sœur Annie, deux ans et demi, et lui, qui partaient rejoindre Robert Granger, récemment nommé Receveur des Douanes. Ils arrivèrent directement au Port à la Recette des Douanes construite dans les années 30.

Ils s'installèrent dans une petite pièce où il y avait un lit étroit. C'était la chambre de passage pour les douaniers et Robert Granger y logeait.
La nuit venue, Anne-Marie se coucha dans le lit avec la petite et Robert s'installa dans un fauteuil. Michel dormit dans les bras de son père, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Il y avait un WC attenant et dès que l'on mettait la lumière, des cafards s'agitaient en tout sens. Michel courait pour les écraser de ses pieds nus et ça faisait "crac" comme quand on écrase une boite d'allumettes vides ; il se souvient n'avoir pas dormi cette nuit-là.
Le lendemain, le receveur des douanes intérimaire, muté à Casablanca, laissa la place libre, et la famille Granger emménagea dans le logement de fonction qui se trouvait à l'étage et où cinq autres enfants verront le jour.


Les Services du port se trouvaient dans cet immeuble ; d'un côté les Services des Travaux Publics, au milieu l'Aconage, de l'autre côté La Douane et au bout le Service actif des douaniers en uniforme.

Au 1er étage, se trouvaient des logements : au-dessus des Travaux Publics, celui de la famille Reux (pilote du port) et au milieu celui du capitaine du port (peut-être M. Toulec puis M. Cariou) et côté Douane, la famille Granger.
Au 2e étage, deux autres logements de fonction : la famille Randazzo (pilote du port) en occupait un.

 

En raison de la construction du port dans les années 50, il y avait beaucoup d'activité et beaucoup de passage dans la partie réservée aux Travaux Publics : les ingénieurs faisaient des études et des plans. Il y avait l'ingénieur L'Excellent, l'ingénieur Quinat qui marchait avec des cannes anglaises et l'ingénieur en chef Carbonnières, remplacé en octobre 1955 par l'ingénieur Robert Guerret.

Derrière la Criée (Halle aux Poissons), se trouvaient les Services du Port puis deux grands hangars pour emmagasiner les produits à exporter.

C'est là que les enfants Granger, Reux, Cariou et Villaplana jouaient à cache-cache entre les piles de sacs qui sentaient bon l'odeur de caroube.
L'odeur de la caroube tout le monde s'en souvient encore. Les enfants jouaient sur les sacs remplis de ces fruits entreposés dans les hangars du port. Quelques fois un nouveau gardien tentait de faire déguerpir les enfants.

 

À l'extérieur de la grille de la Douane en allant vers Aghezdis, il y avait sur la gauche des ateliers de menuiserie et de second œuvre intervenant dans la construction du port.
Immédiatement après, se trouvait la Cité du Port comprenant des petits logements pour les employés du port. De l'autre côté de la route, contre la falaise, avaient été installées les machines de concassage des roches et de la fabrication du béton. Allant toujours vers Aghezddis, on voyait sur la gauche les cuves des Pétroles Mory avant d'arriver à la plage d'Aghezdis proprement dite.

Durant la guerre d'Indochine, des légionnaires "envoyés au vert" couraient deux par deux sur la plage. Des familles de Hollandais de la Zanen qui construisaient le port, s'y rendaient également. Dominant la plage et les Pétroles Mory, il y avait l'Inscription Maritime et l'École d'apprentissage des marins.


Michel Granger se souvient de la grande diversité ethnique des gens du port.
Il y avait des dockers chleuhs et arabes, des Juifs sépharades qui occupaient des emplois de bureau au port, certains étaient transitaires. Un Juif du Sud proposait de refaire les matelas en cardant le doum. Il fallait lui donner à manger des boîtes de conserve qu'il ouvrait lui-même. Une employée de couleur, venant du Sud marocain, lavait le linge dans la buanderie du 2e étage. Elle avait une petite-fille Mina qui se réfugiait derrière sa mère quand Michel voulait toucher ses cheveux crépus en lui disant "tu devrais aller jouer dans un film". Une bonne espagnole puis une portugaise gardaient les enfants Granger ; une bonne portugaise faisait de la couture, du repassage, et du raccommodage pour la famille. La nounou Tamouh qui éleva les enfants Granger venait de Taroudant.

Au port de pêche, on voyait surtout des Espagnols et des Portugais, des clients du Casse-croûte Vilaplana ; mais aussi des pêcheurs hauturiers bretons, un armateur basque et un italien. La société gadirie était segmentée verticalement. En haut de l'échelle, se trouvaient les ingénieurs des Travaux Publics qui construisaient le port ; en bas de l'échelle : les mousses, les dockers et les portefaix.
Les diplômes français étaient préférés aux diplômes étrangers. Les "Cols Bleus" (anciens sous-officiers de marine) étaient recherchés dans les entreprises : commençant au bas de l'échelle, ils parvenaient à se hisser à des postes clés de direction faisant tourner entreprise, entrepôt et usines.


En 1956, la famille Granger déménagea au nouveau port, au-dessus des nouveaux bureaux des Douanes près de la fameuse "soucoupe volante", bâtiment ultra moderne qui servait à l'accueil du public.

L'appartement occupé par les Granger était plus luxueux que le précédent. Il n'était plus tourné vers la modeste plage d'Aghezdis mais vers la plage des Portugais de la SATAS et vers la Ville nouvelle. Les enfants commencèrent à fréquenter le Club nautique et à perdre de vue leurs anciens amis.

 Au moment du séisme, la famille avec 7 de ses enfants dormait profondément ; la plus jeune avait 3 mois ; un silence de mort succéda au bruit et à la clameur. L'enceinte du port gisait sur le sol. Des crevasses apparurent.
La famille se réfugia dans les dunes derrière l'hôtel Saada et les enfants ne se doutant pas de l'ampleur de la catastrophe furent autorisés à prendre leurs cartables.

L'immeuble dit de la Capitainerie qui avait été celui des TP du Port, de l'Aconage et de la Douane fut complètement détruit, réduit à des gravats. Dans cet ancien immeuble de la Recette habitaient les familles Maglione (capitaine du port) Randazzo (Pilote), Charlot (Pilote), Munioz. Furent sauvés les Charlot, les Randazzo sauf le petit Jean-Marc, madame Munioz (Souvenirs de Michel Granger).