Dr Maurice - Médecin major - BAN Agadir
Rôle du service de santé de la Base d'Agadir
Février-mars 1960

 

 

 29 février 1960

 
Le Dr Maurice qui se trouvait en ville lors de la secousse destructrice (23 h 45), regagne la base vers 0h 30 après s'être assuré rapidement que sa famille était sauve et après avoir aidé aux déblaiements de voisins enfouis sous les décombres.

À la base, les blessés arrivent déjà en grand nombre ; le médecin de 1ère classe Bouchet, le dentiste Kalfon sont au travail avec la quasi totalité des infirmiers de la base.
Vers 1 h du matin, ils sont débordés par l'afflux des blessés. Heureusement, un ancien chirurgien de l'hôpital est arrivé à la rescousse.

Toute personne ayant quelques notions de secourisme est immédiatement employée. Le service intérieur de la base envoie des marins pour servir de brancardiers.
Des médecins civils d'Agadir arrivent en renfort dont le Dr Erades et le Dr Roussel.

Après que les marins ont commencé le sauvetage dans les ruines, la cadence des arrivées de blessés devient telle que les soignants doivent se limiter aux soins d'extrême urgence : déchoquage et perfusions de sérums, de plasma, tonicardiaques, parage des plaies, désinfection et pansements, amputation d'urgence de membres broyés, sutures, immobilisation des fractures, injection de sérum antitétanique et d'antibiotiques.

 
 Une fois pansés et traités, les blessés sont dirigés vers l'infirmerie dont les locaux s'avèrent très rapidement trop exigus malgré les dédoublements des lits dans différents postes. À la fin de la nuit, les blessés s'étendent dans les couloirs, dans la cour intérieure et jusque sous les arbres devant l'infirmerie.
Très tôt dans la nuit, des contacts sont pris avec le commandement pour prévoir des évacuations aériennes vers les hôpitaux du Maroc.
L'hôpital d'Agadir (Hôpital Lyautey mixte civil et militaire devenu Hôpital Mohamed V sur le plateau administratif de Talborjt) s'est écroulé peu après la secousse dévastatrice. Les médecins valides de l'hôpital travaillent maintenant dans la cour où un poste de secours a été installé. L'aspirant médecin Derome n'ayant pu rejoindre la base, les a ralliés. Mais sans eau ni électricité, ils sont rapidement débordés.
Vers 3 heures du matin, les évacuations commencent sur la base, Taroudant, Tiznit. À la fin de la nuit, il n'y a plus qu'un petit poste de secours pour blessés légers. Les médecins civils rallient alors Taroudant et le médecin aspirant Derome rallie la base.

À la fin de la nuit, malgré le déblocage du matériel de l'antenne chirurgicale, les médicaments commencent à s'épuiser. Le rythme d'arrivée des blessés augmente encore à la base.
 


 1er mars 1960

 
 Vers 8 h du matin (soit 8 h après la secousse), se posent sur le terrain d'Agadir le médecin principal Vialard (anesthésiste-réanimateur), le médecin de 1ère classe Caiou, le médecin de 1ère classe Renault, le médecin de 2ème classe Granger-Veyron (fils de l'amiral) ainsi que deux médecins aspirants de l'armée. Ces médecins apportent un 1er lot de médicaments de secours en particulier du plasma. Quelques heures plus tard, arrivent
 
 
 des médicaments américains et un envoi important des services de Santé de la Marine et de l'Armée qui permettent de faire la soudure. La base aérienne de Marrakech et la Croix-Rouge envoient dans la matinée des médicaments et du matériel ainsi que des couvertures en très grande quantité. Le médecin chef de la base de Marrakech propose son aide amenant progressivement dix médecins de l'Air et de nombreux infirmiers.
 



Évacuation des blessés

Dès 6 heures 30 du matin, les premiers blessés à évacuer sont dirigés vers les parkings des avions. Tous les avions de la 56 S sont utilisés.
Les blessés français ou européens sont dirigés sur Marrakech, les blessés marocains sur Taroudant.

 
 
 
 

À partir du milieu de la matinée, de nombreux Junkers de l'armée de l'Air participent également à ces évacuations.
Les blessés sont groupés sous le hangar SEA 2 et répartis en 3 groupes : les crâniens et le blessés graves pour Casablanca, les Européens pour Marrakech, les Musulmans pour Taroudant.
Un petit poste est installé dans ce hangar pour poursuivre les traitements et soins. Les médecins de l'Air s'occupent de ces blessés toute la journée. Plus tard des avions civils (espagnols, avions d'Air France et un de Royal Air Maroc) participeront à ce pont aérien.

 

Accumulation des cadavres

 
Un problème crucial se pose rapidement : celui des morts.
Ceux-ci sont d'abord déposés dans la salle PN et dans la radio, puis quand ces locaux seront pleins, sous la tente qui sert au poste de garde Est.
Un vent très chaud se met à souffler et les cercueils manquent cruellement ; il faudrait pouvoir procéder rapidement à l'enterrement.
Dans la journée du 1er mars, une tranchée de 1,50 m est creusée à l'extrémité Est de la base. L'OE2 Joyeux prend la direction de ce travail ; les corps sont inhumés sous une épaisse couche de chlorure de chaux.
Très rapidement le médecin major Maurice demande au commandement de n'accepter sur la base que les corps des marins et de leurs familles ainsi que les corps des Français identifiés.

Il en sera ainsi jusqu'à la fin des déblaiements.
 
 

 

La fréquence de l'apport des blessés reste identique toute la journée et toute la nuit du 1er mars.


De nouveaux médecins offrent leur aide : le Dr Vaytet (ex-médecin commandant de l'Armée), le Dr Salard (un des 1ers médecins arrivés à Agadir). Ce dernier sera d'une aide précieuse comme chirurgien dans la journée du 1er mars.


De nombreux bénévoles aident à faire boire les blessés, à les surveiller.


À plusieurs reprises, le Dr Derome est envoyé en ville pour opérer ou réaliser des amputations de blessés coincés sous les ruines.

 2 mars


 
Jusque-là, la BAN, aidée par d'autres services de la Marine au Maroc et par l'Armée de l'Air a été la seule à faire face aux tâches énormes induites par le séisme.
Mais à partir du 2 mars, les secours affluent :
Ils viennent d'abord de la Marine. Le 2 mars à l'aube, l'Escadre française mouille dans la baie d'Agadir.
Un poste de secours est installé près du Bâtiment des TP sur le front de mer. Il traite des blessés peu importants, opère, trie et dirige vers la base les blessés plus graves.
Des équipes médicales volantes sont constituées pour opérer directement dans les ruines. Elles surveillent et pansent les marins qui travaillent dans les décombres. Dans la nuit du 2 au 3 mars, trois médecins dont le médecin principal Lestage, viennent relever les médecins de la base qui n'ont pas dormi depuis le séisme.
 
Les secours des nations étrangères affluent également.
 
Les Américains installent un pont aérien à l'aide de C 130, de Globe Masters, de DC 4.
Des avions civils français, allemands, italiens, espagnols transportent les blessés.
Bientôt le rythme des évacuations dépasse celui des traitements et le médecin major Maurice doit même rester sur le parking pour aiguiller les départs et éviter les erreurs.
Un hôpital italien est installé sous tente à Inezgane, dédié aux blessés légers.
Les médecins français et étrangers arrivent maintenant de partout, harcelant le médecin major de demandes d'intervention.
À partir du 2 au soir, le nombre de blessés diminue considérablement. Un point est fait avec le médecin en chef de 1ère classe Rivaud venu le matin même de Casablanca.
 

 3 mars


Le 3 mars au matin, l'infirmerie est à moitié vide. Les blessés graves pouvant supporter le transport, sont évacués vers les hôpitaux de Casablanca, Rabat, Marrakech. Seuls sont gardés, les blessés très graves ne pouvant être transportés et les blessés musulmans dont l'état de santé permet d'espérer rapidement une issue favorable. Les blessés qui arrivent encore, sont souvent très choqués. La base dispose de nombreux avions pour évacuer ces blessés.
Des infirmières de la Croix-Rouge (Mme Bordas et Mme Coudrec) arrivent ce matin là et prennent en mains les soins de la salle d'hôpital.

 

 Du 1er au 7 mars


 
Un important ravitaillement en matériels et médicaments est adressé à la BAN par les Services de Santé. La Chefferie de Casablanca en liaison avec la Direction des Forces terrestres, le Dépôt de matériel régional 348 et la Pharmacie Régionale 349 ont adressé plus de 10 tonnes de ravitaillement sanitaire de toute nature. Les médicaments ayant été déposé en vrac devant l'infirmerie, l'aide de la gendarmerie est nécessaire pour éviter le pillage.

Le Dr Farrier (médecin chef de la région) organise l'installation de l'hôpital italien.
Les Espagnols mettent pendant plusieurs jours des Douglas DC3 à la disposition du pont aérien. Ils envoient le 3 mars des médicaments et une équipe médico-chirurgicale avec des infirmières.
Le 3 mars également, une flotte allemande de Nord 2005 apporte un hôpital complet avec médecins et infirmiers, mais le plus gros de la crise est passé.

Travail accompli

Selon le médecin major Maurice, les marins de la base ont été pratiquement les seuls à faire du déblaiement et du sauvetage durant les 36 premières heures. Il n'y eut pas d'accident à déplorer, mais de très nombreuses plaies des mains. Chaque équipe était pourvue d'une trousse de pansements et de désinfectants.
 

Les équipes volantes de l'Escadre ont ensuite beaucoup aidé au déblaiement.  La chaleur qui régnait, a précipité la décomposition des corps. L'odeur épouvantable a obligé à confectionner des masques spéciaux (compresses de gaze et pansements tous prêts imprégnés de désogène et d'huile gomenolée).
Une quarantaine de cas d'épuisements accompagnés de délire et d'agitation chez des marins secouristes ont été soignés à l'infirmerie de la base.

Les nombreuses secousses, heureusement de faible intensité, qui se sont succédées depuis le cataclysme ont été à l'origine de crises de panique.
L'évacuation des bâtiments fissurés et l'installation du personnel sous la tente ont apporté une certaine détente au personnel.

Prophylaxie

L'eau potable fut un gros problème.
La base puisait son eau dans une nappe située entre 25 et 35 m de profondeur. La secousse sismique ne paraissait pas l'avoir remaniée.
Mais les Marocains avaient environ 3 000 morts en face de la base en bordure de la route. Les premiers cadavres avaient juste été recouverts de sable. Du CL2 CA fut déposé et les bulldozers recouvrirent les cadavres de terre rapportée.

Des analyses journalières furent faites aux points critiques, même à l'extérieur de la base.

Une équipe de désinfection sous les ordres du lieutenant de réserve De Feny impressionna le médecin major. Le matériel de cette équipe et en particulier le swing fog permit de désinfecter les locaux de la base, les tentes des réfugiés, les stocks de vêtements, les détritus, les parcs à ordures. La base fut entourée au sol d'une bande de DDT.
Tout animal errant fut systématiquement abattu. Tout animal non abattu devait avoir reçu une vaccination antirabique datant de moins de 6 mois.
Il n'y eut pas de problèmes de rats sur la Base. Les marins reçurent un rappel de TABDT. Les familles volontaires purent se faire vacciner.


 
 Bilan

 1500 blessés environ furent soignés à l'infirmerie de la base à partir du séisme (après recoupement plus précisément : 1784 blessés et 200 blessés légers).
Parmi les blessés arrivés vivants à la base, 60 sont morts ; les 250 autres morts enterrés au cimetière de la Base, furent amenés de l'extérieur.

Bilan des victimes appartenant à la base :


Décédés : personnel militaire (17) - Membres des familles (23)
Disparus : Personnel militaire (5) - Membre des familles (14)
Blessés hospitalisés : Personnel Militaire (11) - Membres des familles (6)

 
 
 

 
L'infirmerie de la base fut le seul organisme capable de traiter immédiatement les blessés pour deux raisons : l'hôpital Mohamed V situé à Talborjt sur le Plateau administratif s'était écroulé et la secousse destructrice avait épargné la base suffisamment éloignée de l'épicentre.
Pendant les 36 premières heures, c'est-à-dire pendant les heures les plus cruciales, la base a du faire face à un afflux extraordinaire de blessés, aidés par les autres formations de la Marine et de l'armée de l'Air.
Quand l'aide extérieure arriva, la quasi totalité des blessés se trouvait déjà dans les hôpitaux des grandes villes grâce aux avions de la base et des autres bases du Maroc.
 
 

 Devant un tel afflux, l'opération déchoquage, réanimation, évacuation fut efficace et fut la seule possible selon le médecin major.
Aucun blessé n'est mort faute de soins ou de médicaments.
Mais selon le médecin major, les énormes moyens mis en œuvre sont malheureusement arrivés trop tard pour effectuer les déblaiements qui auraient permis de sauver des victimes enfouies sous les décombres.

Les premières heures sont cruciales


Source : Témoignage du Dr Maurice, Agadir 1960, Le Toullec, p. 114-120
Rapport sur le rôle du service de santé de la BE Agadir