L'aéroplace de Cap Juby
Au temps de Saint-Exupéry, chef de poste (1927-1928)

 

 

L'aéroplace de Cap Juby consiste en un petit poste sur la terre ferme où se trouvent deux baraques et un hangar Bessoneau. À quelques centaines de mètres du rivage, la Casa del Mar, île rocheuse, est une ancienne redoute anglaise transformée en pénitencier militaire espagnol. Elle abrite la garnison espagnole, ravitaillée par bateau depuis les Canaries tous les 20 de chaque mois. Il n'y a d'eau potable que livrée une fois par mois.

Chef de poste à Cap Juby (fin d'année 1927-fin d'année 1928)

Dès février 1927, Saint-Exupéry est pilote sur le tronçon Casablanca-Dakar ;
En fin d'année 1927, il devient chef d'Aéroplace de cap Juby dans ce coin de terre qui semble maudit (Kessel, Vent de sable, p.71).

Il y restera 18 mois.

Saint-Exupéry a été choisi pour diriger ce poste et maintenir de bonnes relations avec le colonel de la Peña alors que la guerre du Rif vient de s'achever.  Les relations avec les Espagnols ne sont pas bonnes.
En mai 1927, Ould Haj 'Rab vient de tenter une attaque contre Port-Étienne avec des armes provenant des autorités espagnoles de Cap Juby. Il sera tué à Port-Etienne au cours de son incursion. Saint Exupéry doit persuader les Espagnols que la Ligne ne poursuit pas d'autre but que postal.

Cap Juby

"J'avais bien entendu parler de la désolation de ce poste mais j'imaginais qu'autour du fort se pressaient au moins quelques masures, des échoppes, un trafic, aussi misérable qu'il fut. Or je ne voyais rien, et à mesure que nous nous approchions que nous descendions se précisait cette tragique solitude" (J Kessel, Vent de sable, 1928).

Au pied même des murailles du fort commence le désert, le Rio de Oro en territoire espagnol.

"Des fils de fer barbelés cernaient le camp espagnol sur un espace très restreint, un kilomètre au plus. Notre avion les rasa de près, évita quelques tentes et roula vers le hangar appuyé contre l'une des murailles blanches".


Un Bessoneau bâché a été installé à Cap-Juby pour les avions, flanqué d'une ou deux baraques Adrian (baraque préfabriquée en bois démontable, très utilisée pendant la guerre 14-18).
Le hangar Bessoneau et la baraque Adrian se trouvent hors de l'enceinte du fort et la nuit venue, ils sont coupés de tout. Les Espagnols ferment solidement l'unique porte de la citadelle et à l'abri de leurs créneaux se soucient peu de la sécurité du personnel de L'Aéropostale.
 

 Afin de se protéger des incursions nocturnes, les mécaniciens ont imaginé un système d'alerte original : une hélice est montée sur le toit et reliée à une magnéto.

Le vent toujours violent, fait tourner l'hélice et un fil électrique joint la magnéto à la poignée de la porte.
Tout intrus reçoit une décharge de courant alternatif qui l'incite à prendre la fuite.

Les stocks d'huile et d'essence bénéficient de la surveillance d'une sentinelle armée.
Une organisation identique a été mise en place à Villa Cisneros, Port Étienne et Saint-Louis du Sénégal.

À Cap Juby, Saint-Exupéry travaille avec deux mécaniciens, Toto (Lauberg) et Maréchal.
 

Il est entouré d'animaux : une hyène, un caméléon, un ouistiti Kiki, une chienne Mirra, Paf le chat et des gazelles.  Il rachète le noir M'Bark qui a été réduit en esclavage par des Maures et qui le supplie tous les jours de le cacher dans un avion qui va à Agadir.Saint Exupéry le rachètera, mettant à contribution ses amis et sa mère pour lui rendre liberté et dignité.

Il fait l'expérience de la solitude dans ce lieu désertique.
"Quelle vie de moine je mène ! Dans le coin le plus perdu de toute l'Afrique, en plein Sahara espagnol. Un fort sur la plage, notre baraque qui s'y adosse et plus rien pendant des centaines et des centaines de kms, raconte t'il à sa mère. On peut aller sans danger jusqu'à la mer. Ça fait au moins 20 mètres. Je fais cette promenade plusieurs fois par jour. Mais si tu t'éloignes, tu reçois des coups de fusil. Et si tu dépasses 50 mètres, on t'envoie rejoindre tes aïeux ou on t'emmène en esclavage, ça dépend de la saison."

Kessel nous le décrit : "Vêtu d'une éternelle robe de chambre qui avait fini par ressembler à une gandourah, ayant laissé poussé sa barbe, brûlé par le soleil, il ressemblait si bien aux Maures que lorsqu'il allait rendre visite aux nomades qui venaient planter leur tente au pied de Fort Juby, ceux-ci au premier abord, le prenaient pour un des leurs."

Sauvetages des aviateurs tombés en zone dissidente

"Les avions passent tous les 8 jours. Entre eux c'est 3 jours de silence. Et quand mes avions partent, c'est comme mes poussins. Et je suis inquiet jusqu'à ce que la TSF m'ait annoncé leur passage à l'escale suivante à mille kilomètres de là."

Chaque jour, Saint-Exupéry effectue un vol d'entrainement sur le Breguet de réserve pour le maintenir en bon état.

Les avions de la Ligne volent toujours par deux ; dans l'un, l'équipage est accompagné d'un interprète maure pour faciliter le rachat des pilotes capturés lors d'atterrissages forcés, ce qui n'empêche pas des fins tragiques comme celles de Gourp et d'Érable.

En tant que chef d'aéroplace, Saint-Exupéry participe à la libération de plusieurs pilotes et de leurs accompagnants. La camaraderie est une valeur essentielle de la Ligne. Que de fois lors de la captivité de Reine et de Serre, Saint-Exupéry part à leur recherche, se posant en plein désert pour laisser un messager, un interprète, n'hésitant pas à faire des atterrissages périlleux au milieu des dunes pour récupérer des camarades. Il sauve ainsi Louis Vidal, René Riguelle, Marcel Reine, l'ingénieur Serre et l'espagnol Vallejo.

Au printemps, il aide les Espagnols à libérer un de leurs aviateurs en déposant en plein désert des émissaires.


Le 29 juin 1928, dans la nuit, se pose le Laté 26 piloté par Reine avec comme passagers, Tête, inspecteur de la ligne et Serre polytechnicien, chef du service radio.
Saint-Exupéry n'a pas été prévenu de ce vol de nuit, un des premiers ; le lendemain, l'avion repart mais disparaît ensuite ; les recherches s'organisent avec trois avions dont deux tombent en panne.

Le 5 juillet, une lettre parvient à Villa Cisnéros ; Reine et Serre sont prisonniers, le courrier et l'appareil sont détruits, une rançon est demandée (un millier de fusils et autant de chameaux).

Les recherches se poursuivront tout l'été.

17 septembre - Tentative vaine pour enlever Reine et Serre aux mains de leurs ravisseurs Maures, prisonniers depuis le 29 juin précédent.

Octobre 1928 - Reine et Serre sont enfin libérés contre rançon à villa Cisneros. Saint-Exupéry surnommé par les Maures "le commandant des Oiseaux" a appris l'arabe ; il obtient finalement la libération de l'équipage à Villa Cisneros contre une rançon de 20 fusils et 6 000 cartouches. Leur calvaire aura duré 117 jours.

Le 25 octobre 1928, Saint-Exupéry est félicité par Bouilloux-Lafont, PDG de la Compagnie Aéropostale qui vient de racheter les Lignes Latécoère.

Octobre 1928 Libération des pilotes Reine et Serre

18 juillet 1928 - Sauvetage du pilote Riguelle et dépannage de son avion

Saint-Exupéry montre courage, imagination et ténacité lors d'un dépannage qui va le rendre célèbre sur toute la ligne Casa-Dakar aussi bien que chez les Maures.
Quand le pilote René Riguelle se trouve en détresse à 30 km de Cap Juby, son coéquipier Maurice Dumesnil qui le convoie, a bien réussi à le ramener dans son appareil, mais celui de Riguelle est resté en rade. Saint-Exupéry est résolu à le réparer et à le ramener à Cap Juby.
Mais le moteur doit être changé sur place ; pour livrer un moteur de Breguet en plein désert, il faut tout d'abord construire une remorque, montée sur des roues d'avion, fixée derrière deux chameaux et l'amener sur les lieux où se trouve l'avion dans une région où l'insécurité est totale.

Dépannage du Bréguet

 

Saint-Exupéry forme et équipe en deux jours une expédition composée de six Maures armés à cheval, de neuf manœuvres et chameliers. Il fait charger vivres et eau sur deux ânes, attache deux chameaux à un chariot monté sur des roues d'avion qui emporte un moteur et toutes les pièces nécessaires à la réparation.
Puis, il prend la tête de cette caravane avec le mécanicien Marchal. Ils arrivent auprès de l'avion au bout de deux jours et demi et constatent que celui-ci a été en partie saboté par des pillards et que l'état du sol empêche de le tirer sur une zone propice au décollage.
 

Saint-Exupéry fait monter le moteur ; mais, alors qu'un rezzou s'annonce, il fait construire en juillet par une effroyable chaleur, dans un sable aveuglant, une bande de décollage de huit mètres de large et de quatre vingt dix mètres de long, terminée par un tremplin.

Pendant des heures, les balles sifflent et le mécanicien tient les Maures en joug avec un fusil ; Saint-Exupéry et le mécanicien parviennent à monter le moteur puis grimpent dans l'avion et s'envolent vers Cap Juby.

Mission accomplie.


18 octobre - Sauvetage du lieutenant espagnol Vallejo, de l'interprète maure et dépannage de l'appareil. Saint-Exupéry participe à la recherche d'un avion espagnol atteint par les armes des Maures à 180 km de Cabo Juby.


Novembre 1928 - Sauvetage du pilote Vidal (qui succèdera à Saint-Exupéry à Cap Juby en 1929) et de son interprète maure.

1929- Début novembre,

Didier Daurat informe Saint-Exupéry de son affectation en Amérique du Sud : mais son remplaçant Vidal s'étant échoué sur une colline, il doit attendre décembre pour quitter Cap Juby.