Rapport SECURITAS - mars 1960
 

 

Quelques aspects du comportement des constructions vis-à-vis du séisme
Rapport du Bureau Securitas (21 mars 1960)

 

La Société de Contrôle Technique et d'Expertise de la Construction (SECURITAS ) a établi au lendemain du séisme d'Agadir ( 21 mars 1960) un rapport technique portant sur plusieurs constructions de la ville d'Agadir d'autant plus intéressant que le Bureau SECURITAS assurait à Agadir le contrôle d'une trentaine de constructions.
L'ingénieur délégué à Casablanca était R. Girardeau et le délégué divisionnaire pour l'Afrique du Nord était J. Despeyroux.
Nous avons extrait de ces documents les aspects du comportement des constructions les plus emblématiques de la ville, permettant de tirer des enseignements techniques, des recommandations et du sort à réserver à la ville.
Nous sommes restés au plus près du texte et des expressions techniques utilisées.

Les destructions furent massives dans les quartiers anciens : Kasbah, Founti, Talborjt ainsi que dans les faubourgs de Yachech où les habitations vétustes, les maisons en maçonneries mal liées ou dépourvues de chaines à la mode ancienne, les petits bâtiments récents construits parfois de façon anarchique ont offert une proie facile au séisme (T1, 6).

À Talborjt, des constructions comme le Cinéma Sahara contrôlé par le Bureau Securitas, est resté debout malgré la présence d'un lourd balcon en porte-à-faux, ainsi que le minaret de la Mosquée (T1, 6).

Le Pont de Tildi dont l'état de conservation avait donné des inquiétudes avant le séisme et qui enjambe précisément la grande faille du Tildi, se trouvant à la fois vulnérable et exposé, n'a pas subi de nouveaux dommages de la part du séisme (T1, 11).
En Ville Nouvelle, l'Immeuble Chanal, rue Paul Doumer et l'Immeuble de la Paternelle bien que situés très près de la faille, ont tenu.

 

Au Port : le Bâtiment des Douanes

 

Fondé sur des pieux d'une longueur de 20 mètres, fichés dans le remblai constituant le terre-plein du port gagné sur la mer.
La coupole en béton armé représente une masse considérable (750T).
Son contreventement avait fait l'objet d'études minutieuses même si les efforts d'un éventuel séisme n'avaient pas été envisagés malgré l'exceptionnelle hauteur du centre de gravité.
Cette construction a résisté pratiquement sans dommages à la secousse ; il en fut de même pour le corps du bâtiment rectangulaire qui l'accompagne. L'équilibre de la construction pendant la réalisation avait posé des problèmes très délicats qui avaient imposé le bétonnage par voussoirs successifs (T1, 25).
 

L'Immeuble Consulaire (le 7 étages)

 

Au pied de Talborjt, sur le Front de mer, l'Immeuble consulaire qui abritait les bureaux de la Chambre de Commerce possédait 7 étages sur rez-de-chaussée.

Les niveaux supérieurs étaient réservés à l'habitation.
Cet immeuble n'a laissé qu'un incroyable petit tas de ruines.
 


Un poteau principal de l'immeuble avait été coulé dans une buse en béton formant coffrage perdu.
Les armatures rassemblées vers le centre étaient mal enrobées. L'enrobage n'était effectif que du côté de l'intérieur du poteau.
Les barres en recouvrement étaient accolées l'une à l'autre et le béton n'avait pu pénétrer entre elles pour les enrober et assurer la transmission correcte des efforts.
Ce béton était de mauvaise qualité : trop de fines, trop d'eau peut-être une dessiccation trop brutale d'un coup de chergui.
La résistance à l'adhérence était à peu près nulle ; on distingue les gaines laissées par les armatures qui ont glissé.
 

 

 
 

 

 

 

 
 

 
 
 

 

L'Immeuble de la SATAS et l'Hôtel Mauritania (Front de mer)

 

 Ils ont bien résisté à la secousse (T1, 45)
 
 

 

Le Bâtiment de la Province (Palais du Gouverneur) (Plateau administratif)

 

 Il s'est bien comporté.
 
 

 

La Villa Gergovie (Plateau administratif

 

 Le bâtiment a présenté des dislocations aux angles par insuffisance du chainage.
 
 

 

Le 8 étages (Immeuble SIBRA) sur le Front de mer

 

Ce bâtiment malgré son élancement s'est bien comporté.


La secousse a provoqué des cisaillements entre les maçonneries et l'ossature et fissuré quelques meneaux. Le béton armé a correctement joué son rôle.

Il n'était cependant pas calculé pour résister à d'éventuels séismes (T2, 43).

 

 

Le Bella Vista (rue Sadi Carnot)

 

 Cet immeuble s'est effondré en morceaux bousculant le petit immeuble voisin (T1, 56)
 
 
 

 

Immeuble de la Compagnie " La Paternelle "

 

 Placé non loin du Tildi, cet immeuble a été soumis à une violente secousse comme en témoigne la rupture en béton pourtant armé de barres de très gros diamètres.
La console du rez-de-chaussée supportait tout le reste de l'élévation et elle a tenu.
 

 
 
 

 

La Petite station-service Shell voisine de l'immeuble La Paternelle a très bien tenu.

 

 

Le Sud-Building

 

 

 
 
 

 
 
 

 
 

Immeuble en forme de L comportant trois étages sur rez-de-chaussée le long de sa façade avenue Lucien Saint, et un niveau inférieur supplémentaire dans la déclivité de la rue Thiers.


À partir du 1er étage, la façade était en surplomb sur la rue et débordait l'alignement du rez-de-chaussée de 1,50 m environ.


Dans l'arrondi, à l'angle des 2 rues Thiers et Lucien Saint, le porte-à-faux atteignait même 2,50 mètres par rapport à l'axe des appuis.
L'avancée du bâtiment couronnée par un bandeau et un acrotère très lourd, débordant encore sur la façade, s'est effondrée dans les étages supérieurs entrainant les planchers à sa suite (T2, 2).


En s'abattant, la rotonde a tiré sur les deux branches du L et a provoqué leur désorganisation.


Le dernier étage a subi en bloc une importante translation, entrainé vers l'angle des deux rues au moment de l'effondrement de l'arrondi en porte-à-faux.

 

 

 

L'Hôtel de ville

 

 

 
 

Ce bâtiment bien construit est resté debout. Il a pourtant été soumis à une rude secousse.

À l'intérieur, toutes les cloisons même encadrées de béton sur leurs 4 côtés ont volé en éclats.

L'ossature très rigide a résisté sans le secours des remplissages mais en raison de sa raideur même a beaucoup souffert.

Le séisme a permis aux tensions internes développées par la rigidité même de l'ossature de se libérer occasionnant des fissurations par une mise en place parfois défectueuse du ferraillage.

 
 
 

 
 
 

 

 

L'Hôtel Saada

 

 

 
 
 

 
 

 
 Les armatures ont cassé par allongement et striction - Crochets trop courts.

 

 

L'Immeuble de la police au Quartier Industriel Sud

 

 

 

 
 Pratiquement indemne, quelques trumeaux fissurés.

 

 

L'immeuble du Tribunal du Quartier Industriel Sud

 

 

 

  Seuls les placages extérieurs et les claustras ont souffert.
 
 
 
 
 

 
 
 
 

Conclusions :
 

Les effondrements complets

L'extrême division des débris traduit la qualité très moyenne des constructions ou bien que certaines privautés aient été prises avec une ou plusieurs règles de l'art qui en temps ordinaires seraient passées inaperçues, mais en cas de circonstances exceptionnelles comme ici, expliquent que la catastrophe ait été totale et de surcroit totalement meurtrière.

 

 
1-Première conclusion à tirer :

Il faut toujours respecter les règles de l'art et les règles en vigueur même lorsqu'à la suite d'un certain nombre d'expériences heureuses on peut se sentir enclin à discuter le bien fondé de certaines d'entre elles.
 

 

Les effondrements partiels

Ils ont en général concerné des constructions de conception normale bien calculées et exécutées.
Le Bureau Securitas avait assuré à Agadir le contrôle de 31 constructions dont le Cinéma Sahara de Talborjt, la coupole du Bâtiment des Douanes, l'Hôtel de Ville, l'immeuble SIBRA (8 étages).
Les 31 ouvrages ont donné lieu à 2 effondrements partiels seulement, parfaitement explicables. Leur étude est instructive.

Le Sud-Building
L'immeuble composé de deux corps du bâtiment en équerre reliés par un arrondi comportant des étages en porte-à-faux sur la rue.
Dans l'arrondi, le porte-à-faux atteignait 2,50 m. Les accélérations verticales développées par le séisme l'ont à la fois surchargé et mis en résonnance. La rupture s'en est suivie avec des conséquences pour certaines autres parties du bâtiment mais la catastrophe aurait pu être totale.
Elle ne pouvait être évitée que par l'application de règles spéciales propres aux régions sujettes à séisme.

Le Marché de la Ville nouvelle
Il comportait un étage avec de grandes portées libres (8,60 mètres) entre poteaux. Le plancher-terrasse était d'un type lourd (protection thermique). Ce bâtiment était correctement calculé pour les efforts du vent. Il offrait effectivement peu de prise au vent mais par contre les accélérations dues au séisme ont développé en tête de chaque poteau, en raison du caractère massif du plancher et de la grande surface de plancher agissant sur chaque poteau, des efforts horizontaux considérables de très loin supérieurs aux efforts du vent.
Le 1er étage s'est couché mais le rez-de-chaussée où les poteaux calculés pour les importantes surcharges du 1er étage avaient reçu une inertie plus grande, a parfaitement résisté.
Dans ce cas, aucune erreur ne peut être reprochée aux constructeurs et seule l'application de règles spéciales pouvait éviter l'accident (T2, 42).

Cinéma Rialto
La salle comportait de longs pans en maçonnerie de moellons, sans ouverture, supportant la couverture. Cette dernière était constituée par une dalle en béton armée suspendue à des arcs "bow-string" appuyés sur la maçonnerie des longs pans par l'intermédiaire de sommiers en béton armé. La secousse a désorganisé la maçonnerie sous les sommiers et quelques parties du mur sont tombées privant les "bow-strings" de leurs appuis.
Ceux-ci sont tombés mais ne se sont pas cassés au terme de leur chute ce qui est la preuve qu'ils avaient été correctement projetés et très bien organisés.

Immeubles restés debout

- À Talborjt, le minaret de la mosquée, solide construction d'excellente maçonnerie est resté debout malgré son élancement.
- Le Cinéma Sahara de Talborjt a résisté aux secousses malgré son balcon en porte à-faux (T2, 44).
- En Ville nouvelle, l'Hôtel Marhaba, bonne et lourde construction traditionnelle n'a subi que quelques dommages réparables, bien qu'il soit non loin de la faille de Tildi dans une situation à priori exposée.
 

 
2- Importance et respect de prescriptions suivantes :

- Des règles concernant la liaison des façades avec les refends ou avec les ossatures permettent d'éviter les renversements de façade et chute de planchers.
- Des règles relatives au chainage horizontal et vertical des maçonneries permettent d'éviter les graves fissurations et empêcher l'effondrement de bow-strings comme au Rialto ou de la charpente de l'église Sainte-Croix.
- Prise en compte de coefficients sismiques pour éviter le déversement du 2ème étage comme pour le marché.
-Prescriptions relatives au porte-à-faux pour éviter l'affaissement des rotondes comme au Sud-Building.
- Calculs des contreventements pour éviter ce qui s'est produit pour le Saada, le Bella Vista, l'immeuble Consulaire.
- Délimiter les régions susceptibles d'être frappées par un séisme et rendre obligatoires des recommandations antisismiques pour ces régions.
- Le coût de la construction n'est augmenté que d'environ 5% lorsque le nombre d'étages est compris entre 4 et 6 (T2, 50).
 

 

Nous remercions M. Gérard Houlliez, fils de M. Lucien Houlliez rédacteur du rapport SECURITAS et responsable du suivi des travaux après le séisme pour le compte de la Société Marocaine des Entreprises Truchetet, Tansini et A. Dodin, de nous avoir permis d'exploiter ce document technique.