Congrès Internationaux d'Architecture Moderne
C.I.A.M.
 
 

 

 
Les Congrès Internationaux d'Architecture Moderne ou C.I.A.M. tinrent une place importante pour les architectes dits modernes. Ces congrès seraient nés de l'échec au concours pour la construction du Palais de la Société des Nations à Genève, en 1927, de plusieurs projets d'architecture moderne et fonctionnaliste dont celui de Le Corbusier.
En réaction, Le Corbusier et d'autres architectes français auraient demandé à une riche amateure d'art genevoise, Mme Hélène de Mandrot, d'organiser en son château de la Sarraz près du lac Léman, une rencontre des plus grands architectes et urbanistes internationaux pour donner une base théorique internationale aux divers projets et réalisations modernes (Ragon, T 2, 239).

Le Corbusier dit ceci : "En 1928, un groupe d'architectes modernes se réunissait en Suisse au château de la Sarraz Vaud, grâce à la généreuse hospitalité de madame Hélène de Mandrot.
Après avoir examiné, d'après un programme élaboré à Paris, le problème que posait l'art de bâtir, ils affirmèrent un point de vue ferme et décidèrent de se grouper pour placer l'architecture en face de ses taches véritables. C'est ainsi que furent fondés les Congrès internationaux d'Architecture moderne, les CIAM" (Le Corbusier, La Charte d'Athènes, 119)
 

 

"Les buts des CIAM furent de formuler le problème architectural contemporain ; de présenter l'idée architectural moderne ; de faire pénétrer cette idée dans les cercles techniques économiques et sociaux ; de veiller à la réalisation du problème de l'architecture" (Le Corbusier, La Charte d'Athènes, 122).

Dès le moment de leur fondation, les CIAM entrèrent dans la voie des réalisations pratiques ; travaux collectifs, discussions, résolutions, publications. Les CIAM choisissent successivement différents pays pour se réunir. Chaque fois, ils provoquent dans les centres professionnels et dans l'opinion, un remous fécond, une animation, un réveil.

Les congrès de 1928,1929 et 1930 furent dominés par les Allemands, les sept suivants de 1933 à 1953 par Le Corbusier, le dernier en 1956 par le groupe Team X composé de jeunes contestataires qui marquèrent leurs différences au congrès d'Aix en Provence (Bonillo, 3).  
La période allant de 1928 à 1937 correspond aux cinq congrès d'avant-guerre et après une décennie sans congrès, la période de 1947 à 1956 correspond aux 5 congrès d'après-guerre.

L'âge d'or du Mouvement Moderne fut dominé par la figure tutélaire de Le Corbusier (J-L Bonillo, 3).
La seconde période se déroulera dans un contexte historique et international très différent avec un élargissement considérable du groupe constitué par plusieurs générations d'architectes et une grande ouverture géographique du mouvement. 

 

Déroulement des différents congrès internationaux (CIAM)

 1928 : CIAM 1, La Sarraz (Suisse)

Fondation des CIAM.
Le 1er CIAM se tient les 26, 27 et 28 juin 1928 à La Sarraz sous la présidence de Karl Moser avec comme objectif de poser les bases théoriques du mouvement architectural et urbanistique moderne et fonctionnaliste.
Ce terme renvoie à l'idée que l'habitat est avant tout une fonction qui doit être rationalisée.

 Le 1er CIAM est constitué par un groupe de 28 architectes européens dits modernes ; il est organisé par Le Corbusier, Hélène de Mandrot et Sigfried Giedion (1er secrétaire général du Congrès).

 
 
 

Ce congrès ne réunit que des architectes européens et britanniques. Parmi les participants français, Pierre Jeanneret, Tony Garnier, Auguste Perret, etc. Le Corbusier joue un rôle déterminant.
Les débats portent sur les relations entre l'architecture et l'urbanisme.
Le Corbusier présente les 6 points fondamentaux : la technique moderne et ses conséquences, l'économie, l'urbanisme, la standardisation, l'éducation et la jeunesse puis la réalisation État/Architecture.
Il propose un manifeste (Manifeste de la Sarraz) qui bien qu'écarté par les Hollandais et les Suisses, car trop axé sur l'architecture, aura par la suite des répercussions importantes.

 1929 : CIAM 2, Francfort-sur-le-Main (Allemagne)

Thème retenu : Étude du logis minimum.

Il est organisé par Ernst May, président de l'Office du bâtiment de la ville, sur le thème : "L'habitat à loyer modéré".
Il porte sur l'analyse des éléments fondamentaux du problème de "la Maison Minimale" (rapport de Le Corbusier et Pierre Jeanneret). Walter Gropius (Allemagne), José Luis Sert participent pour la 1ère fois à un CIAM.

 1930 : CIAM 3, Bruxelles (Belgique)

Thème retenu : Étude du lotissement rationnel.

Le congrès a pour thème "Les méthodes rationnelles pour la construction des groupements d'habitation". La question de l'habitat minimum est à nouveau évoquée ; l'architecte Neutra est le représentant des États-Unis. Un des thèmes abordés est de savoir s'il vaut mieux privilégier les habitations à niveau unique ou à plusieurs étages : la verticalisation de l'habitation est une ou la solution qui permet de créer des espaces verts tout en évitant les grandes distances et le temps perdu avec les déplacements et la locomotion.
Le Corbusier présente son projet de "Ville radieuse".
C. Van Eesteren, alors directeur du bureau d'urbanisme à Amsterdam, est élu président des CIAM en remplacement de Karl Moser.

 1933 : CIAM 4, Athènes (Grèce)

Thème : la Cité fonctionnelle.

Analyse de 33 villes. Il y sera question des villes et de l'urbanisme comme "prolongement d'attitudes architecturales à l'échelle sociale".
Le congrès devait avoir lieu à Moscou en 1932 ; mais l'URSS qui était jusque-là à l'avant-garde de l'architecture et de l'urbanisme moderne, vient d'opérer un retour en arrière sous l'impulsion de Staline.

Tous les participants doivent envoyer leurs propositions dans le but de formuler une charte collective de l'urbanisme fonctionnel.
Mais les retards s'accumulent. Breuer propose d'organiser en catastrophe le congrès sous forme d'une croisière.
Le paquebot "Patris II", affrété par l'intermédiaire de Le Corbusier, assure le voyage aller-retour de Marseille à Athènes.

Ce congrès est souvent considéré comme le plus important des congrès au point de vue urbanistique en tant que Fondement de la Charte d'Athènes par Le Corbusier.
Aucun autre congrès n'aura autant de répercussions que le CIAM 4. 

Ce congrès-croisière entre Marseille et Athènes (juillet et août 1933) emmène aux côtés d'architectes, des peintres (Picasso invité), des poètes et des critiques d'art.

Le congrès s'attache au problème de la Cité moderne et des principes généraux de l'urbanisation. Il aboutit à la rédaction de la Charte d'Athènes qui aura une influence déterminante pour l'urbanisme d'après guerre.

 

Les conclusions à l'étude de 33 villes rédigées sous la forme d'un P-V officiel seront publiées dans une version française en 1933 et sous deux autres versions dont une américaine que l'on doit à José-Luis Sert ("Can our Cities Survive ?") ("Nos cités peuvent-elles survivre ?") publiée aux États-Unis par l'université de Harvard en 1942.

La Charte d'Athènes écrite par Le Corbusier sera publiée anonymement en 1943 à Vichy dans la France occupée, avec une introduction de Jean Giraudoux, et ensuite signée en 1957 par Le Corbusier.

 
Elle est considérée comme le texte fondateur de l'architecture et de l'urbanisme modernes ; elle énonce les moyens d'améliorer les conditions d'existence dans la ville moderne pour un épanouissement harmonieux des 4 grandes fonctions humaines :

      • Habiter,
      • Travailler,
      • Se divertir (se recréer dans les loisirs),
      • Circuler.

Les trois versions du document, à quelques détails près, présenteront les mêmes conclusions ; La Charte d'Athènes remporte la palme de l'audience auprès des architectes du monde entier. Elle deviendra la bible de toute une génération d'architectes parce que Le Corbusier a su condenser dans un style clair et mordant des comptes rendus de travaux assez arides en leur nomenclature monotone (Ragon, T2, 242-3)
 


 Le texte revu par Le Corbusier sera publié sous le titre :

La ville fonctionnelle.


Il repose sur le constat que les villes d'aujourd'hui ne répondent plus ou pas aux souhaits de leurs populations et cette situation révèle, dès le début de l'ère machiniste, l'addition des intérêts privés.

La ville doit assurer la liberté individuelle et le bénéfice de l'action collective.
Son dimensionnement doit être régi à l'échelle humaine.

Les quatre fonctions Habiter-Travailler-Se recréer-Circuler sont les clés de l'urbanisme.

La cellule d'habitation avec son insertion dans une unité d'habitation de grandeur efficace est le noyau initial de l'urbanisme et c'est à partir de cette unité-logis que doivent s'établir dans l'espace urbain, les apports entre l'habitation, les lieux de travail et les installations consacrées aux heures libres.

L'exaltation du soleil, des espaces verts, de l'hygiène est constante : le soleil, la verdure, l'espace sont les trois premiers matériaux de l'urbanisme répète Le Corbusier alors que sévit la tuberculose, fléau encore incurable.

Selon la Charte d'Athènes, la circulation est une fonction primordiale de la vie urbaine : les piétons doivent être séparés des voitures.
Le zonage doit délimiter les différentes fonctions de la ville.

 1937 : CIAM 5, Paris (France)

Étude du problème Logis et Loisirs.
Le Corbusier - Rapport n°1 : Solutions de principe.

 

 

Le Corbusier réunit les documents qu'il publiera en 1938 sous le titre : "Logis et Loisirs".

Le CIAM 6 qui devait se tenir aux États-Unis, est empêché par la guerre. Une longue période s'en suit sans congrès (10 ans) en raison de la guerre mondiale.
Toutefois, l'activité des CIAM se poursuit aux États-Unis sous le sigle : "CIAM-Chapter for Relief and Post-War-Planning" sous la présidence de Richard Neutra avec Gropius et Giédion, Jean Luis Sert, etc.

 1947 : CIAM 6, Bridgwater (R-U)

1er CIAM d'après-guerre. Les buts des CIAM sont réaffirmés pour resserrer les liens distendus par le conflit mondial.


C'est le groupe autonome anglais MARS (Modern Architecture Research Group) qui organise le congrès à Bridgwater (dans le Sud de l'Angleterre) en 1947.
Le congrès est surtout rétrospectif.

Giedion publiera : Dix années de d'architecture contemporaine, 1937-1947 (Zurich, 1951).


 1949 : CIAM 7, Bergame (Italie)


Thème principal : La réalisation des principes fondamentaux de l'urbanisme - Mise en pratique de La Charte d'Athènes.
Autre thème : La synthèse des " Arts Majeurs " (Architecture, Peinture, Sculpture) (lettre à Picasso invité).

Naissance de la grille CIAM d'urbanisme.

C'est la Guerre froide entre l'Est et l'Ouest. Le congrès marque l'opposition entre l'Est et l'Ouest. Des discussions violentes éclatent : la délégation polonaise exige que les théories staliniennes soient adoptées par les CIAM.
La "Grille CIAM d'urbanisme" sera publiée en 1949 dans la revue "L'Architecture d'aujourd'hui".
José-Luis Sert devient le nouveau président des CIAM.

 
À la fin des années 40, de nouveaux groupes apparaissent dans la mouvance des CIAM.
En 1949, au congrès de Bergame, le groupe marocain (GAMMA) est en cours de constitution (Cohen et Eleb, 306-307).
La formation du GAMMA résulte des actions convergentes et successives de Michel Écochard (directeur du Service de l'Urbanisme au Maroc sous le Protectorat français de 1946 à 1952) et de l'architecte Candilis. L'initiative en revient au secrétaire général des CIAM, Sigfried Giedion qui, après une rencontre avec Michel Écochard à New York, souhaite obtenir la contribution de celui-ci aux CIAM.
En 1949, M. Écochard est admis comme "membre individuel" des CIAM.

L'action de l'urbaniste Michel Écochard trouve alors un écho mondial au travers des CIAM. L'équipe du Service de l'Urbanisme au Maroc, loin de se contenter d'être un relais dans la diffusion de la Charte d'Athènes, mène une réflexion qui participe du déplacement vers le Sud du discours fonctionnaliste (Cohen et Eleb, 306). La prise en compte des traditions des ruraux marocains qui ont migré en bordure des villes côtières marque une nouvelle étape dans la réflexion collective des CIAM.
 

 

Dans le contexte d'après-guerre, la 2ème période des CIAM se développe avec un élargissement important du groupe (trois générations d'architectes et d'urbanistes, une grande ouverture géographique, des points de vue contradictoires) et l'apparition de contestataires.

Après la Charte d'Athènes, l'objectif de Le Corbusier est de publier une Charte de l'Habitat.

1951 : CIAM 8, Hoddesdon (R-U) près de Londres

Le thème : Étude du centre, du cœur des villes : "The Heart of the City".

Le congrès est de nouveau organisé par le groupe MARS.

Le thème du congrès soulève la question des centres-villes et de l'espace public ; il ouvre l'architecture à l'urbanisme et aux sciences sociales, à la production de masse, à la production en série, industrielle ("La machine à habiter" de Le Corbusier).

Les catégories de "ville européenne" et de "ville indigène" appliquées par l'urbanisme colonial n'ont plus de sens (Pinson).


Le Corbusier montre ses esquisses pour Chandigarh.


Pour représenter les jeunes architectes, B. Howell et G. Candilis sont nommés en 1951 au Conseil, instance suprême des CIAM.

 

1953 : CIAM 9, Aix-en-Provence (France)


Thème retenu : Étude de l'habitat humain.

Le CIAM 9 se déroule à Aix-en-Provence, dans les locaux de l'École des Arts et Métiers, du 19 au 25 juillet 1953 ; il est organisé par l'ASCORAL (Assemblée de Constructeurs pour une Rénovation de l'Architecture).
L'ASCORAL, créée durant la guerre le 26 mars 1942, à l'initiative de Le Corbusier, en tant que bureau d'études à très forte capacité d'innovation, force de proposition et de pression auprès de l'autorité dans le cadre de la reconstruction, trouve sa survie en devenant groupe français des CIAM.

 

 L'objet du congrès est l'étude de la fonction Habiter, définie comme englobant le logis et ses prolongements.


Georges Candilis insiste pour que l'étude porte sur l'Habitat et non uniquement sur le Logement.

La notion d'habitat décrit la maison mais aussi son environnement et tout ce qui en relève.


La méthode s'appuie sur la grille CIAM d'urbanisme mise au point par l'ASCORAL et expérimentée à Bergame lors du CIAM 7, 1949.

Membre de l'ASCORAL, André Wogenscky se voit confier le texte préparatoire de la Charte de l'Habitat si importante à fonder pour Le Corbusier après la Charte d'Athènes.

Gropius est vice-président des CIAM. Depuis 25 ans Le Corbusier et Gropius "mènent la barque". Des brésiliens sont apparus (Niemeyer), des Japonais mais aussi des "jeunes loups" (Ragon, T2, 245).

Les CIAM sont alors travaillés par deux courants culturels qui renvoient à une différence Nord-Sud : un courant analytique et un courant rationaliste dit "solaire et poétique".
Le Congrès d'Aix-en-Provence apparait comme le congrès de la contestation, celui du "conflit de génération" avec la tentative de passage du témoin à la jeune génération.
Il apparait comme le congrès de l'échec de la génération héroïque du Mouvement moderne face à la jeune génération critique à l'égard du Fonctionnalisme.

Toutefois Le Corbusier règne encore en maitre (Bonillo,1) et triomphe avec son "Unité d'habitation à Marseille" qui sera officiellement inaugurée le 14 octobre 1952.

 

 

 L'actualité du thème retenu, le logement, constitue une priorité des urgences de l'après guerre avec la loi Courant en France qui institue des plans types de logements et les HLM puis les LOGECO (Logements économiques et sociaux) et les procédures d'expropriation pour la réalisation de groupes d'habitations et de zones industrielles.
Le congrès compte quelques 250 participants représentant 31 pays.

L'organisation quant à elle, compte environ 3 000 adhérents : ce qui représente trois générations d'architectes et une grande ouverture géographique des participants.

Une quinzaine d'architectes du GAMMA basés au Maroc participent à ce congrès : Roger Aujard, Élie Azagury, Béraud, Georges Candilis, Jean Chemineau, Michel Écochard (en dépit de son départ du Maroc), Godefroy, Jaubert, Pierre Mas, Woods, Éliane et Henri Tastemain.
D. Basciano, Delanoë, Édouard Delaporte, Forichon, Jean-François Zevaco et Honneger sont absents (archives Éliane et Henri Tastemain, réunion du GAMMA, Rabat, 10 juin 1953 cité par Cohen, p. 329).

Le groupe marocain GAMMA est maintenant accepté comme branche à part entière des CIAM.
Le projet du nouveau quartier Yacoub El Mansour à Rabat, étudié par les services d'Écochard, publié sous la signature du Groupe CIAM du Maroc, constitue son véritable bulletin de naissance public (Cohen et Eleb, note 76, p. 307).
Les clivages entre les membres français des CIAM se retrouvent au Maroc.

Ainsi au sein de l'agence At-Bat Afrique basée à Casablanca à partir de 1951 (filiale du Bureau d'étude créé pour réaliser "l'Unité d'habitation" de Le Corbusier à Marseille), l'ingénieur Bodiansky, affilié au groupe Lods (architecte de l'hôtel de ville d'Agadir, actuelle Province) s'éloigne de Le Corbusier, alors que l'architecte Georges Candilis reste encore proche de ce dernier.

Quant à ceux de l'équipe d'Écochard, ils sont affiliés à un troisième groupe dénommé "La Cité" animé par R. Aujame.

La prospérité du Maroc et l'hégémonie de l'architecture moderne permettent à des jeunes architectes travaillant au Maroc, comme Élie Azagury, Jean-François Zevaco, Henri Tastemain, Jean Chemineau de présenter aux CIAM au début des années 50, des réalisations nombreuses et prometteuses alors que les architectes en France ne parviennent pas à faire aboutir leurs projets (Cohen et Eleb).

La réception sur l'arène internationale du bilan concret de l'équipe Écochard et de ses théories sur l'"Habitat du plus grand nombre" redouble d'impact sur les périphéries de Casablanca (Cohen et Eleb, 307).

Du côté des CIAM, Le Corbusier finit par souhaiter le départ des anciens et la passation du flambeau aux jeunes architectes et urbanistes ; Candilis chargé en 1951 de représenter les jeunes architectes, reste un temps fidèle à Le Corbusier qui poursuit l'objectif de faire aboutir son projet de la Charte de l'Habitat.
Au printemps 1952, un conseil extraordinaire et officieux se tient à l'atelier parisien de Le Corbusier, 35 rue de Sèvres, pour discuter du départ des anciens du CIAM et de l'arrivée des jeunes architectes et urbanistes, et pour commenter l'avancée de la Charte de l'Habitat dont le texte préparatoire a été confié à André Wogenscky (ASCORAL).

 

La question de la fonction Habiter englobant le logis et ses prolongements, est étudiée à partir d'exemples concrets. La méthode reprend la "Grille CIAM d'urbanisme" mise au point par l'ASCORAL déjà expérimentée à Bergame (CIAM 7, 1949) avec une normalisation poussée.
Les questions qui préoccupent les architectes engagés dans ce groupe se posent sous forme d'apories parmi lesquelles :

  • Peut-on continuer à s'appuyer sur un corps de doctrine élaboré dans les années 20 ?
  • Comment formuler une doctrine d'habitat adaptée aux pays développés et aux pays en développement ?

 

Réunis pour formaliser une Charte sur l'Habitat en pendant de la Charte d'Athènes, doctrine d'urbanisme officielle du mouvement, les participants ne parviennent pas à un accord. "L'assaut des jeunes fut parfois d'une violence telle que nous fumes embarrassés pour y faire face" (Giedion).

Le congrès CIAM 9 fait apparaître la crise et le fossé qui s'est creusé entre une approche anthropologique de l'habitat, portée par la jeune génération et une approche technologique inspirée par l'industrialisation et la standardisation portée par Bodiansky et Lods.
Le texte de Michel Écochard (qui n'est plus directeur du Service de L'urbanisme au Maroc) rédigé pour les Nations Unies, est repris et présenté dans "Contribution à la Charte de l'Habitat" sous le titre de "L'Habitat pour le plus grand nombre. Position du problème par rapport à la Charte d'Athènes".

La contribution marocaine au Congrès d'Aix rencontre les réflexions d'Aldo van Eyck et celles des Smithson sur l'Identité et la Spécificité de l'habitat dans la ville en réintroduisant la notion d'adaptation à la culture locale (Cohen et Eleb, 331).

Le CIAM 9 est considéré par certains comme le dernier CIAM véritable (Bonillo, 3). Il témoigne de la crise qui va entrainer la rupture et la fin des CIAM.

 1956 : CIAM 10, Dubrovnik (Yougoslavie)

Thème retenu à nouveau : " L'Habitat humain "

Les organisateurs envisagent un temps de tenir le CIAM 10 en novembre 1955 à Alger pour faciliter les rencontres avec les architectes nord-africains. La situation politique impose le déplacement du lieu de congrès. Pour éviter la déroute, un mini-congrès est organisé à La Sarraz en septembre 1955 par le groupe suisse pour préparer le CIAM 10.
Le paysage mondial de l'architecture moderne s'est considérablement complexifié à la fin des années 50. S'y ajoutent les contributions de pays comme le Brésil, le Japon (Kenzo Tange et le groupe Métabolisme).

 

 Les architectes Jaap Bakema, Georges Candilis, Rolf Gutmann et Peter Smithson chargés d'organiser le CIAM 10, constituent le Team X : ils sont rejoints par d'autres architectes dont Shadrach Woods.


Team X sous la direction du hollandais Bakema se propose de rédiger une nouvelle Charte de l'Habitat, la Charte d'Athènes apparaissant comme un outil vieilli.


Ils se réunissent à Doorn aux Pays-Bas pour préparer le congrès et mettent au point le Manifeste de Doorn (1954).
Ils retinrent le même thème intitulé : "The habitat : problems of inter-relationships : CIAM's first proposals, statement and resolutions".

 Woods et Candilis s'éloignent progressivement de la conception de Le Corbusier.

"Ils voyaient l'esprit de l'architecture moderne, l'esprit nouveau de Le Corbusier, se figer un peu partout dans l'application aveugle de principes schématiques".

Face à l'accroissement du besoin de logement pour le plus grand nombre, ces architectes observent que les quartiers des villes nouvelles se constituent tristement de tours et de barres au nom de la Charte d'Athènes et de l'architecture moderne et sont maintenant à la recherche d'outils de conception nouveaux.
 C'est Jean Chemineau (architecte basé à Rabat et membre du GAMMA depuis 1952 et connu à Agadir pour la réalisation au temps du Protectorat, du Lycée Youssef Ben Tachfine et celle des Écoles musulmanes du Quartier industriel Sud à Agadir) qui prend la place de délégué du Congrès.

Le thème de l'Habitat est retenu avec des discussions portant sur la mobilité, la croissance, l'urbanisme et l'habitat.

Jean Chemineau et Henri Tastemain, accompagnés d'Élie Azagury et de Louis Riou participent aux travaux de la commission sur "l'Urbanisme comme partie de l'Habitat " mais ne présentent pas de grille "comme si la dynamique de l'action d'Écochard et de Candilis s'était essoufflée" (Cohen et Eleb, 420).
 

 

 Le Corbusier est agacé par les querelles internes des membres français des CIAM.
La cause de ces divergences, que Le Corbusier considère comme générationnelle, est plus culturelle et relève des nouvelles réalités socio-anthropologiques rencontrées dans les pays qui se libèrent de l'administration coloniale.

La culture de l'Occident et son universalisme sont remis en cause.

De leur côté, Candilis et Woods choisissent une voie qui s'éloigne de plus en plus des enseignements de Le Corbusier (Bonillo, 7).
Bodiansky et Lods (chef de file du groupe CIAM Bâtir dans une vision très techniciste) n'ont plus les faveurs du maitre. Marcel Lods (alors architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux à Paris) dans un courrier sans concession du 26 mars 1956, au nom du Groupe CIAM Bâtir, exprime son refus de participer au CIAM 10 estimant que tout a été dit au congrès d'Aix-en-Provence.
Vladimir Bodiansky, leader de l'Atbat-Afrique, se voit reprocher un double jeu au plan local et au plan des instances internationales (ONU, UNESCO, UIA).
De son côté Écochard, qui fut un des piliers du CIAM 9, s'éloigne, engagé par des chantiers au Pakistan.

La charte tant souhaitée par Le Corbusier, ne sera pas écrite à Dubrovnik tant le clivage entre les générations d'avant-guerre et celles d'après-guerre est important.

Au cours de ce 10ème et dernier congrès officiel, l'équipe de préparation entérine le divorce avec les tenants des conceptions héritées de Le Corbusier. La direction des CIAM donne massivement sa démission à Dubrovnik et propose "aux jeunes" de reprendre le flambeau sous un autre nom.
Proposition qui ne sera pas acceptée. En réalité, les CIAM ne survivront pas à la difficile épreuve du passage de l'utopie à la réalisation (Ragon, 245-6).

 1959 : Otterlo (Pays-Bas) : Team X

Enterrement des CIAM
La jeune génération réunie sous l'appellation Team Ten (le néerlandais Jaap Bakema, Georges Candilis, Shadrach Woods) s'attaque au credo fonctionnaliste symbolisé par la fameuse grille CIAM (J-L Bonillo,11) :
"Si, il y a trente ans, c'était pour le CIAM une tâche urgente d'intégrer les techniques modernes dans l'architecture et l'urbanisme, à l'heure qu'il est, il s'agit avant tout de créer l'Habitat qui peut stimuler le développement de relations humaines nouvelles dans la maison, le village, la ville, la métropole et la région" (Daniel Pinson, Des jeunes mais aussi beaucoup d'absences, CIAM X, Dubrovnik 1956, HAL).

L'enterrement des CIAM


En 2010, Candilis expliquait :
"Au congrès d'Aix-en-Provence (1953, CIAM 9), ... la "vieille garde" commença à mettre en formules les propositions retenues, à confectionner des recettes, à réaliser le manuel du parfait architecte ".
Les jeunes loups dont je faisais partie, s'insurgèrent …

En 1956, très surs de nous, très fiers, nous nous sommes rendus au Congrès de Dubrovnik (CIAM 10) en Yougoslavie, où siégeaient 300 architectes venus du monde entier.
Avec conviction, chacun de nous a expliqué ce qu'il fallait faire, comment on devait le faire, sans complaisance, en empruntant les chemins les plus difficiles.
Notre proposition était un esprit, un canevas, à partir duquel on pouvait produire des tapisseries multiples et variées. Mais pas une recette comme à Athènes.

Nous étions certains d'être compris.
 

 Notre cri d'alarme n'a pas été entendu. On nous a rejetés.

Ces hommes pour lesquels nous avions grande estime, ces professeurs (Giedion, Sert, Tyrwhitt), ces maitres de l'establishment architectural, qui s'étaient eux-mêmes révoltés quelques années plus tôt contre la bêtise et l'obscurantisme, nous ont traité d'exaltés, de rêveurs, d'anarchistes.

Alors, notre colère a explosé et nous avons claqué la porte".


"Le Corbusier n'avait pas vu venir Dubrovnik. Quand il a appris la nouvelle, il se rangea à nos vues et nous écrivit :
"Bravo ! Vous avez raison. Il faut tourner la page !"

"Et ce fut l'enterrement définitif des CIAM " (Candilis, Bâtir la vie, pp. 221-223) cité par D. Pinson.


 

Team Ten


La dissolution des CIAM organisée par Team Ten créée un schisme en contestant l'approche doctrinaire de l'urbanisme.

 
 Certains poursuivront les réunions sous forme de groupes de réflexion.

La première réunion aura lieu à Bagnols-sur-Cèze en 1960 programmée par Candilis ; parmi les 11 suivantes, Candilis en programmera 4 dont celle de Paris en 1961, de Royaumont (avec Woods) en 1962, celle de Toulouse en 1971 et la dernière en juin 1977 à Bonnieux (Lubéron) dans sa maison de vacances.

Mais d'autres réunions se poursuivront jusqu'à celle tenue à Lisbonne en 1981 avec seulement quelques participants.

 Team Ten ne développera pas de théorie, mais une critique des conceptions rationalistes et technicistes du Mouvement Moderne, voulant penser le passage d'une société industrielle, organisée autour du travail à une société caractérisée par la consommation et la fragmentation sociale.
Ils contribueront à développer de nouveaux concepts architecturaux.

À l'émergence d'un nouveau maitre comme Louis Kahn s'ajouteront les contributions du Brésil avec Oscar Niemeyer et l'école Carioca, le Japon avec Kenzo Tange et le Groupe des architectes métabolistes et d'autres.