Les Congrès Internationaux d'Architecture Moderne
ou C.I.A.M. tinrent une place importante pour les architectes
dits modernes. Ces congrès seraient nés
de l'échec au concours pour la construction du Palais
de la Société des Nations à Genève,
en 1927, de plusieurs projets d'architecture moderne et fonctionnaliste
dont celui de Le Corbusier.
En réaction, Le Corbusier et d'autres architectes français
auraient demandé à une riche amateure d'art genevoise,
Mme Hélène de Mandrot, d'organiser en son
château de la Sarraz près du lac Léman, une
rencontre des plus grands architectes et urbanistes internationaux
pour donner une base théorique internationale aux divers
projets et réalisations modernes (Ragon, T 2, 239).
Le Corbusier dit ceci : "En 1928, un groupe d'architectes
modernes se réunissait en Suisse au château de la
Sarraz Vaud, grâce à la généreuse
hospitalité de madame Hélène de Mandrot.
Après avoir examiné, d'après un programme
élaboré à Paris, le problème que
posait l'art de bâtir, ils affirmèrent un
point de vue ferme et décidèrent de se grouper
pour placer l'architecture en face de ses taches véritables.
C'est ainsi que furent fondés les Congrès internationaux
d'Architecture moderne, les CIAM" (Le Corbusier, La
Charte d'Athènes, 119)
|
"Les buts des CIAM furent de formuler le problème
architectural contemporain ; de présenter l'idée
architectural moderne ; de faire pénétrer cette
idée dans les cercles techniques économiques et
sociaux ; de veiller à la réalisation du problème
de l'architecture" (Le Corbusier, La Charte d'Athènes,
122).
Dès le moment de leur fondation, les CIAM
entrèrent dans la voie des réalisations pratiques
; travaux collectifs, discussions, résolutions, publications.
Les CIAM choisissent successivement différents pays pour
se réunir. Chaque fois, ils provoquent dans les centres
professionnels et dans l'opinion, un remous fécond, une
animation, un réveil.
Les congrès de 1928,1929 et 1930 furent dominés
par les Allemands, les sept suivants de 1933 à 1953 par
Le Corbusier, le dernier en 1956 par le groupe Team
X composé de jeunes contestataires qui marquèrent
leurs différences au congrès d'Aix en Provence
(Bonillo, 3). |
La période allant de 1928 à 1937
correspond aux cinq congrès d'avant-guerre et après
une décennie sans congrès, la période de
1947 à 1956 correspond aux 5 congrès d'après-guerre.
L'âge d'or du Mouvement Moderne fut dominé
par la figure tutélaire de Le Corbusier (J-L Bonillo,
3).
La seconde période se déroulera dans un contexte
historique et international très différent avec
un élargissement considérable du groupe constitué
par plusieurs générations d'architectes et une
grande ouverture géographique du mouvement. |
Déroulement des différents
congrès internationaux (CIAM)
1928 : CIAM 1, La Sarraz (Suisse) |
Fondation des CIAM.
Le 1er CIAM se tient les 26, 27 et 28 juin 1928 à La
Sarraz sous la présidence de Karl Moser avec
comme objectif de poser les bases théoriques du mouvement
architectural et urbanistique moderne et fonctionnaliste.
Ce terme renvoie à l'idée que l'habitat est avant
tout une fonction qui doit être rationalisée.
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Le 1er CIAM est constitué par un groupe
de 28 architectes européens dits modernes ; il
est organisé par Le Corbusier, Hélène
de Mandrot et Sigfried Giedion (1er secrétaire général
du Congrès).
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Ce congrès ne réunit que des architectes européens
et britanniques. Parmi les participants français, Pierre
Jeanneret, Tony Garnier, Auguste Perret, etc. Le Corbusier
joue un rôle déterminant.
Les débats portent sur les relations entre l'architecture
et l'urbanisme.
Le Corbusier présente les 6 points fondamentaux
: la technique moderne et ses conséquences, l'économie,
l'urbanisme, la standardisation, l'éducation et la jeunesse
puis la réalisation État/Architecture.
Il propose un manifeste (Manifeste de la Sarraz) qui bien
qu'écarté par les Hollandais et les Suisses, car
trop axé sur l'architecture, aura par la suite des répercussions
importantes.
1929 : CIAM 2, Francfort-sur-le-Main
(Allemagne) |
Thème retenu : Étude du logis minimum.
Il est organisé par Ernst May, président
de l'Office du bâtiment de la ville, sur le thème
: "L'habitat à loyer modéré".
Il porte sur l'analyse des éléments fondamentaux
du problème de "la Maison Minimale" (rapport
de Le Corbusier et Pierre Jeanneret). Walter Gropius (Allemagne),
José Luis Sert participent pour la 1ère
fois à un CIAM.
1930 : CIAM 3, Bruxelles (Belgique) |
Thème retenu : Étude du lotissement rationnel.
Le congrès a pour thème "Les méthodes
rationnelles pour la construction des groupements d'habitation".
La question de l'habitat minimum est à nouveau
évoquée ; l'architecte Neutra est le représentant
des États-Unis. Un des thèmes abordés est
de savoir s'il vaut mieux privilégier les habitations
à niveau unique ou à plusieurs étages
: la verticalisation de l'habitation est une ou la solution qui
permet de créer des espaces verts tout en évitant
les grandes distances et le temps perdu avec les déplacements
et la locomotion.
Le Corbusier présente son projet de "Ville radieuse".
C. Van Eesteren, alors directeur du bureau d'urbanisme
à Amsterdam, est élu président des CIAM
en remplacement de Karl Moser.
1933 : CIAM 4, Athènes
(Grèce) |
Thème : la Cité fonctionnelle.
Analyse de 33 villes. Il y sera question des villes et de l'urbanisme
comme "prolongement d'attitudes architecturales à
l'échelle sociale".
Le congrès devait avoir lieu à Moscou en 1932 ;
mais l'URSS qui était jusque-là à l'avant-garde
de l'architecture et de l'urbanisme moderne, vient d'opérer
un retour en arrière sous l'impulsion de Staline.
Tous les participants doivent envoyer leurs propositions dans
le but de formuler une charte collective de l'urbanisme fonctionnel.
Mais les retards s'accumulent. Breuer propose d'organiser
en catastrophe le congrès sous forme d'une croisière.
Le paquebot "Patris II", affrété
par l'intermédiaire de Le Corbusier, assure le voyage
aller-retour de Marseille à Athènes.
Ce congrès est souvent considéré comme
le plus important des congrès au point de vue urbanistique
en tant que Fondement de la Charte d'Athènes par
Le Corbusier.
Aucun autre congrès n'aura autant de répercussions
que le CIAM 4.
Ce congrès-croisière entre Marseille et Athènes
(juillet et août 1933) emmène aux côtés
d'architectes, des peintres (Picasso invité), des poètes
et des critiques d'art.
Le congrès s'attache au problème de la Cité
moderne et des principes généraux de l'urbanisation.
Il aboutit à la rédaction de la Charte d'Athènes
qui aura une influence déterminante pour l'urbanisme d'après
guerre.
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Les conclusions à l'étude de 33 villes rédigées
sous la forme d'un P-V officiel seront publiées dans une
version française en 1933 et sous deux autres versions
dont une américaine que l'on doit à José-Luis
Sert ("Can our Cities Survive ?") ("Nos cités
peuvent-elles survivre ?") publiée aux États-Unis
par l'université de Harvard en 1942.
La Charte d'Athènes écrite par Le Corbusier
sera publiée anonymement en 1943 à Vichy dans la
France occupée, avec une introduction de Jean Giraudoux,
et ensuite signée en 1957 par Le Corbusier.
Elle est considérée comme le texte fondateur
de l'architecture et de l'urbanisme modernes ; elle énonce
les moyens d'améliorer les conditions d'existence dans
la ville moderne pour un épanouissement harmonieux des
4 grandes fonctions humaines :
- Habiter,
- Travailler,
- Se divertir (se recréer dans les loisirs),
- Circuler.
Les trois versions du document, à quelques détails
près, présenteront les mêmes conclusions
; La Charte d'Athènes remporte la palme de l'audience
auprès des architectes du monde entier. Elle deviendra
la bible de toute une génération d'architectes
parce que Le Corbusier a su condenser dans un style clair et
mordant des comptes rendus de travaux assez arides en leur nomenclature
monotone (Ragon, T2, 242-3)
|
Le texte revu par Le Corbusier sera publié sous
le titre :
La ville fonctionnelle.
Il repose sur le constat que les villes d'aujourd'hui ne répondent
plus ou pas aux souhaits de leurs populations et cette situation
révèle, dès le début de l'ère
machiniste, l'addition des intérêts privés.
La ville doit assurer la liberté individuelle et le
bénéfice de l'action collective.
Son dimensionnement doit être régi à l'échelle
humaine.
Les quatre fonctions Habiter-Travailler-Se recréer-Circuler
sont les clés de l'urbanisme.
|
La cellule d'habitation avec son insertion
dans une unité d'habitation de grandeur efficace
est le noyau initial de l'urbanisme et c'est à partir
de cette unité-logis que doivent s'établir
dans l'espace urbain, les apports entre l'habitation, les lieux
de travail et les installations consacrées aux heures
libres.
L'exaltation du soleil, des espaces verts, de l'hygiène
est constante : le soleil, la verdure, l'espace sont les trois
premiers matériaux de l'urbanisme répète
Le Corbusier alors que sévit la tuberculose, fléau
encore incurable.
Selon la Charte d'Athènes, la circulation est une
fonction primordiale de la vie urbaine : les piétons doivent
être séparés des voitures.
Le zonage doit délimiter les différentes fonctions
de la ville.
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1937 : CIAM 5, Paris (France) |
Étude du problème Logis et Loisirs.
Le Corbusier - Rapport n°1 : Solutions de principe.
Le Corbusier réunit les documents qu'il publiera en
1938 sous le titre : "Logis et Loisirs".
Le CIAM 6 qui devait se tenir aux États-Unis, est empêché
par la guerre. Une longue période s'en suit sans congrès
(10 ans) en raison de la guerre mondiale.
Toutefois, l'activité des CIAM se poursuit aux États-Unis
sous le sigle : "CIAM-Chapter for Relief and Post-War-Planning"
sous la présidence de Richard Neutra avec Gropius
et Giédion, Jean Luis Sert, etc.
1947 : CIAM 6, Bridgwater (R-U) |
1er CIAM d'après-guerre. Les buts des CIAM sont réaffirmés
pour resserrer les liens distendus par le conflit mondial.

C'est le groupe autonome anglais MARS (Modern Architecture
Research Group) qui organise le congrès à Bridgwater
(dans le Sud de l'Angleterre) en 1947.
Le congrès est surtout rétrospectif.
Giedion publiera : Dix années de d'architecture
contemporaine, 1937-1947 (Zurich, 1951).


1949 : CIAM 7, Bergame (Italie) |
Thème principal : La réalisation des principes
fondamentaux de l'urbanisme - Mise en pratique de La Charte
d'Athènes.
Autre thème : La synthèse des " Arts Majeurs
" (Architecture, Peinture, Sculpture) (lettre à
Picasso invité).
Naissance de la grille CIAM d'urbanisme.
C'est la Guerre froide entre l'Est et l'Ouest. Le congrès
marque l'opposition entre l'Est et l'Ouest. Des discussions violentes
éclatent : la délégation polonaise exige
que les théories staliniennes soient adoptées par
les CIAM.
La "Grille CIAM d'urbanisme" sera publiée
en 1949 dans la revue "L'Architecture d'aujourd'hui".
José-Luis Sert devient le nouveau président
des CIAM.
À la fin des années 40, de nouveaux groupes
apparaissent dans la mouvance des CIAM.
En 1949, au congrès de Bergame, le groupe marocain
(GAMMA) est en cours de constitution (Cohen et Eleb, 306-307).
La formation du GAMMA résulte des actions
convergentes et successives de Michel Écochard (directeur
du Service de l'Urbanisme au Maroc sous le Protectorat français
de 1946 à 1952) et de l'architecte Candilis. L'initiative
en revient au secrétaire général des CIAM,
Sigfried Giedion qui, après une rencontre avec
Michel Écochard à New York, souhaite obtenir
la contribution de celui-ci aux CIAM.
En 1949, M. Écochard est admis comme "membre
individuel" des CIAM.
L'action de l'urbaniste Michel Écochard trouve
alors un écho mondial au travers des CIAM. L'équipe
du Service de l'Urbanisme au Maroc, loin de se contenter d'être
un relais dans la diffusion de la Charte d'Athènes, mène
une réflexion qui participe du déplacement vers
le Sud du discours fonctionnaliste (Cohen et Eleb, 306).
La prise en compte des traditions des ruraux marocains qui ont
migré en bordure des villes côtières marque
une nouvelle étape dans la réflexion collective
des CIAM.
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Dans le contexte d'après-guerre, la 2ème période
des CIAM se développe avec un élargissement important
du groupe (trois générations d'architectes et d'urbanistes,
une grande ouverture géographique, des points de vue contradictoires)
et l'apparition de contestataires.
Après la Charte d'Athènes, l'objectif
de Le Corbusier est de publier une Charte de l'Habitat.
1951 : CIAM 8, Hoddesdon (R-U) près
de Londres |
Le thème : Étude du centre, du cur
des villes : "The Heart of the City".
Le congrès est de nouveau organisé par le groupe
MARS.
Le thème du congrès soulève la question
des centres-villes et de l'espace public ; il ouvre l'architecture
à l'urbanisme et aux sciences sociales, à la production
de masse, à la production en série, industrielle
("La machine à habiter" de Le Corbusier).
Les catégories de "ville européenne"
et de "ville indigène" appliquées par
l'urbanisme colonial n'ont plus de sens (Pinson).
Le Corbusier montre ses esquisses pour Chandigarh.
Pour représenter les jeunes architectes, B. Howell
et G. Candilis sont nommés en 1951 au Conseil, instance
suprême des CIAM.
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1953 : CIAM 9, Aix-en-Provence (France) |
Thème retenu : Étude de l'habitat humain.
Le CIAM 9 se déroule à Aix-en-Provence, dans
les locaux de l'École des Arts et Métiers, du 19
au 25 juillet 1953 ; il est organisé par l'ASCORAL
(Assemblée de Constructeurs pour une Rénovation
de l'Architecture).
L'ASCORAL, créée durant la guerre le 26 mars 1942,
à l'initiative de Le Corbusier, en tant que bureau d'études
à très forte capacité d'innovation, force
de proposition et de pression auprès de l'autorité
dans le cadre de la reconstruction, trouve sa survie en devenant
groupe français des CIAM.
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L'objet du congrès est l'étude de la fonction
Habiter, définie comme englobant le logis et ses
prolongements.
Georges Candilis insiste pour que l'étude porte sur l'Habitat
et non uniquement sur le Logement.
La notion d'habitat décrit la maison mais aussi
son environnement et tout ce qui en relève.
La méthode s'appuie sur la grille CIAM d'urbanisme mise
au point par l'ASCORAL et expérimentée à
Bergame lors du CIAM 7, 1949.
Membre de l'ASCORAL, André Wogenscky se voit
confier le texte préparatoire de la Charte de l'Habitat
si importante à fonder pour Le Corbusier après
la Charte d'Athènes.
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Gropius est vice-président des CIAM. Depuis
25 ans Le Corbusier et Gropius "mènent la barque".
Des brésiliens sont apparus (Niemeyer), des Japonais mais
aussi des "jeunes loups" (Ragon, T2, 245).
Les CIAM sont alors travaillés par deux courants culturels
qui renvoient à une différence Nord-Sud : un courant
analytique et un courant rationaliste dit "solaire et poétique".
Le Congrès d'Aix-en-Provence apparait comme le
congrès de la contestation, celui du "conflit de
génération" avec la tentative de passage du
témoin à la jeune génération.
Il apparait comme le congrès de l'échec de la génération
héroïque du Mouvement moderne face à
la jeune génération critique à l'égard
du Fonctionnalisme.
Toutefois Le Corbusier règne encore en maitre (Bonillo,1)
et triomphe avec son "Unité d'habitation à
Marseille" qui sera officiellement inaugurée
le 14 octobre 1952.

L'actualité du thème retenu, le logement,
constitue une priorité des urgences de l'après
guerre avec la loi Courant en France qui institue des plans types
de logements et les HLM puis les LOGECO (Logements économiques
et sociaux) et les procédures d'expropriation pour la
réalisation de groupes d'habitations et de zones industrielles.
Le congrès compte quelques 250 participants représentant
31 pays.
L'organisation quant à elle, compte environ 3 000 adhérents
: ce qui représente trois générations d'architectes
et une grande ouverture géographique des participants.
Une quinzaine d'architectes du GAMMA basés au Maroc
participent à ce congrès : Roger Aujard, Élie
Azagury, Béraud, Georges Candilis, Jean Chemineau, Michel
Écochard (en dépit de son départ du
Maroc), Godefroy, Jaubert, Pierre Mas, Woods, Éliane
et Henri Tastemain.
D. Basciano, Delanoë, Édouard Delaporte, Forichon,
Jean-François Zevaco et Honneger sont absents (archives
Éliane et Henri Tastemain, réunion du GAMMA,
Rabat, 10 juin 1953 cité par Cohen, p. 329).
Le groupe marocain GAMMA est maintenant accepté comme
branche à part entière des CIAM.
Le projet du nouveau quartier Yacoub El Mansour à
Rabat, étudié par les services d'Écochard,
publié sous la signature du Groupe CIAM du Maroc, constitue
son véritable bulletin de naissance public (Cohen et Eleb,
note 76, p. 307).
Les clivages entre les membres français des CIAM se retrouvent
au Maroc.
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Ainsi au sein de l'agence At-Bat Afrique basée
à Casablanca à partir de 1951 (filiale du Bureau
d'étude créé pour réaliser "l'Unité
d'habitation" de Le Corbusier à Marseille), l'ingénieur
Bodiansky, affilié au groupe Lods (architecte
de l'hôtel de ville d'Agadir, actuelle Province) s'éloigne
de Le Corbusier, alors que l'architecte Georges Candilis
reste encore proche de ce dernier.
Quant à ceux de l'équipe d'Écochard,
ils sont affiliés à un troisième groupe
dénommé "La Cité" animé
par R. Aujame.
La prospérité du Maroc et l'hégémonie
de l'architecture moderne permettent à des jeunes architectes
travaillant au Maroc, comme Élie Azagury, Jean-François
Zevaco, Henri Tastemain, Jean Chemineau de présenter
aux CIAM au début des années 50, des réalisations
nombreuses et prometteuses alors que les architectes en France
ne parviennent pas à faire aboutir leurs projets (Cohen
et Eleb).
La réception sur l'arène internationale du bilan
concret de l'équipe Écochard et de ses théories
sur l'"Habitat du plus grand nombre" redouble
d'impact sur les périphéries de Casablanca (Cohen
et Eleb, 307).
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Du côté des CIAM, Le Corbusier finit par souhaiter
le départ des anciens et la passation du flambeau aux
jeunes architectes et urbanistes ; Candilis chargé
en 1951 de représenter les jeunes architectes, reste un
temps fidèle à Le Corbusier qui poursuit l'objectif
de faire aboutir son projet de la Charte de l'Habitat.
Au printemps 1952, un conseil extraordinaire et officieux se
tient à l'atelier parisien de Le Corbusier, 35 rue de
Sèvres, pour discuter du départ des anciens du
CIAM et de l'arrivée des jeunes architectes et urbanistes,
et pour commenter l'avancée de la Charte de l'Habitat
dont le texte préparatoire a été confié
à André Wogenscky (ASCORAL).
La question de la fonction Habiter englobant le logis
et ses prolongements, est étudiée à partir
d'exemples concrets. La méthode reprend la "Grille
CIAM d'urbanisme" mise au point par l'ASCORAL déjà
expérimentée à Bergame (CIAM 7, 1949) avec
une normalisation poussée.
Les questions qui préoccupent les architectes engagés
dans ce groupe se posent sous forme d'apories parmi lesquelles
:
- Peut-on continuer à s'appuyer sur un corps de doctrine
élaboré dans les années 20 ?
- Comment formuler une doctrine d'habitat adaptée aux
pays développés et aux pays en développement
?
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Réunis pour formaliser une Charte sur l'Habitat
en pendant de la Charte d'Athènes, doctrine d'urbanisme
officielle du mouvement, les participants ne parviennent pas
à un accord. "L'assaut des jeunes fut parfois
d'une violence telle que nous fumes embarrassés pour y
faire face" (Giedion).
Le congrès CIAM 9 fait apparaître la crise et
le fossé qui s'est creusé entre une approche anthropologique
de l'habitat, portée par la jeune génération
et une approche technologique inspirée par l'industrialisation
et la standardisation portée par Bodiansky et Lods.
Le texte de Michel Écochard (qui n'est plus directeur
du Service de L'urbanisme au Maroc) rédigé pour
les Nations Unies, est repris et présenté dans
"Contribution à la Charte de l'Habitat" sous
le titre de "L'Habitat pour le plus grand nombre. Position
du problème par rapport à la Charte d'Athènes".
La contribution marocaine au Congrès d'Aix rencontre
les réflexions d'Aldo van Eyck et celles des Smithson
sur l'Identité et la Spécificité de l'habitat
dans la ville en réintroduisant la notion d'adaptation
à la culture locale (Cohen et Eleb, 331).
Le CIAM 9 est considéré par certains comme le
dernier CIAM véritable (Bonillo, 3). Il témoigne
de la crise qui va entrainer la rupture et la fin des CIAM.
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1956 : CIAM 10, Dubrovnik (Yougoslavie) |
Thème retenu à nouveau : " L'Habitat humain
"
Les organisateurs envisagent un temps de tenir le CIAM
10 en novembre 1955 à Alger pour faciliter
les rencontres avec les architectes nord-africains. La situation
politique impose le déplacement du lieu de congrès.
Pour éviter la déroute, un mini-congrès
est organisé à La Sarraz en septembre 1955 par
le groupe suisse pour préparer le CIAM 10.
Le paysage mondial de l'architecture moderne s'est considérablement
complexifié à la fin des années 50. S'y
ajoutent les contributions de pays comme le Brésil, le
Japon (Kenzo Tange et le groupe Métabolisme).
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Les architectes Jaap Bakema, Georges Candilis, Rolf
Gutmann et Peter Smithson chargés d'organiser le CIAM
10, constituent le Team X : ils sont rejoints par
d'autres architectes dont Shadrach Woods.
Team X sous la direction du hollandais Bakema se propose
de rédiger une nouvelle Charte de l'Habitat, la Charte
d'Athènes apparaissant comme un outil vieilli.
Ils se réunissent à Doorn aux Pays-Bas pour
préparer le congrès et mettent au point le Manifeste
de Doorn (1954).
Ils retinrent le même thème intitulé : "The
habitat : problems of inter-relationships : CIAM's first proposals,
statement and resolutions".
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Woods et Candilis s'éloignent progressivement
de la conception de Le Corbusier.
"Ils voyaient l'esprit de l'architecture moderne, l'esprit
nouveau de Le Corbusier, se figer un peu partout dans
l'application aveugle de principes schématiques".
Face à l'accroissement du besoin de logement pour le plus
grand nombre, ces architectes observent que les quartiers des
villes nouvelles se constituent tristement de tours et de barres
au nom de la Charte d'Athènes et de l'architecture moderne
et sont maintenant à la recherche d'outils de conception
nouveaux.
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C'est Jean Chemineau (architecte
basé à Rabat et membre du GAMMA depuis 1952 et
connu à Agadir pour la réalisation au temps du
Protectorat, du Lycée Youssef Ben Tachfine et celle
des Écoles musulmanes du Quartier industriel Sud à
Agadir) qui prend la place de délégué
du Congrès.
Le thème de l'Habitat est retenu avec des discussions
portant sur la mobilité, la croissance, l'urbanisme et
l'habitat.
Jean Chemineau et Henri Tastemain, accompagnés
d'Élie Azagury et de Louis Riou participent
aux travaux de la commission sur "l'Urbanisme comme partie
de l'Habitat " mais ne présentent pas de grille
"comme si la dynamique de l'action d'Écochard
et de Candilis s'était essoufflée" (Cohen
et Eleb, 420).
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Le Corbusier est agacé par les querelles internes
des membres français des CIAM.
La cause de ces divergences, que Le Corbusier considère
comme générationnelle, est plus culturelle et relève
des nouvelles réalités socio-anthropologiques rencontrées
dans les pays qui se libèrent de l'administration coloniale.
La culture de l'Occident et son universalisme sont remis en cause.
De leur côté, Candilis et Woods choisissent
une voie qui s'éloigne de plus en plus des enseignements
de Le Corbusier (Bonillo, 7).
Bodiansky et Lods (chef de file du groupe CIAM Bâtir
dans une vision très techniciste) n'ont plus les faveurs
du maitre. Marcel Lods (alors architecte en chef des bâtiments
civils et palais nationaux à Paris) dans un courrier sans
concession du 26 mars 1956, au nom du Groupe CIAM Bâtir,
exprime son refus de participer au CIAM 10 estimant que tout
a été dit au congrès d'Aix-en-Provence.
Vladimir Bodiansky, leader de l'Atbat-Afrique, se voit
reprocher un double jeu au plan local et au plan des instances
internationales (ONU, UNESCO, UIA).
De son côté Écochard, qui fut un des
piliers du CIAM 9, s'éloigne, engagé par des chantiers
au Pakistan.
La charte tant souhaitée par Le Corbusier, ne sera
pas écrite à Dubrovnik tant le clivage entre les
générations d'avant-guerre et celles d'après-guerre
est important.
Au cours de ce 10ème et dernier congrès officiel,
l'équipe de préparation entérine le divorce
avec les tenants des conceptions héritées de Le
Corbusier. La direction des CIAM donne massivement sa démission
à Dubrovnik et propose "aux jeunes" de reprendre
le flambeau sous un autre nom.
Proposition qui ne sera pas acceptée. En réalité,
les CIAM ne survivront pas à la difficile épreuve
du passage de l'utopie à la réalisation (Ragon,
245-6).
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1959 : Otterlo (Pays-Bas) : Team
X |
Enterrement des CIAM
La jeune génération réunie sous l'appellation
Team Ten (le néerlandais Jaap Bakema, Georges Candilis,
Shadrach Woods) s'attaque au credo fonctionnaliste
symbolisé par la fameuse grille CIAM (J-L Bonillo,11)
:
"Si, il y a trente ans, c'était pour le CIAM une
tâche urgente d'intégrer les techniques modernes
dans l'architecture et l'urbanisme, à l'heure qu'il est,
il s'agit avant tout de créer l'Habitat qui peut
stimuler le développement de relations humaines nouvelles
dans la maison, le village, la ville, la métropole et
la région" (Daniel Pinson, Des jeunes mais
aussi beaucoup d'absences, CIAM X, Dubrovnik 1956, HAL).
L'enterrement des CIAM
En 2010, Candilis expliquait :
"Au congrès d'Aix-en-Provence (1953, CIAM
9), ... la "vieille garde" commença à
mettre en formules les propositions retenues, à confectionner
des recettes, à réaliser le manuel du parfait architecte
".
Les jeunes loups dont je faisais partie, s'insurgèrent
En 1956, très surs de nous, très fiers, nous nous
sommes rendus au Congrès de Dubrovnik (CIAM 10)
en Yougoslavie, où siégeaient 300 architectes venus
du monde entier.
Avec conviction, chacun de nous a expliqué ce qu'il fallait
faire, comment on devait le faire, sans complaisance, en empruntant
les chemins les plus difficiles.
Notre proposition était un esprit, un canevas, à
partir duquel on pouvait produire des tapisseries multiples et
variées. Mais pas une recette comme à Athènes.
Nous étions certains d'être compris.
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Notre cri d'alarme n'a pas été entendu.
On nous a rejetés.
Ces hommes pour lesquels nous avions grande estime, ces professeurs
(Giedion, Sert, Tyrwhitt), ces maitres de l'establishment architectural,
qui s'étaient eux-mêmes révoltés quelques
années plus tôt contre la bêtise et l'obscurantisme,
nous ont traité d'exaltés, de rêveurs, d'anarchistes.
Alors, notre colère a explosé et nous avons
claqué la porte".
"Le Corbusier n'avait pas vu venir Dubrovnik. Quand il a
appris la nouvelle, il se rangea à nos vues et nous écrivit
:
"Bravo ! Vous avez raison. Il faut tourner la page !"
"Et ce fut l'enterrement définitif des CIAM
" (Candilis, Bâtir la vie, pp. 221-223)
cité par D. Pinson.
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Team Ten
La dissolution des CIAM organisée par Team Ten
créée un schisme en contestant l'approche doctrinaire
de l'urbanisme.
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Certains poursuivront les réunions
sous forme de groupes de réflexion.
La première réunion aura lieu à Bagnols-sur-Cèze
en 1960 programmée par Candilis ; parmi les
11 suivantes, Candilis en programmera 4 dont celle de Paris
en 1961, de Royaumont (avec Woods) en 1962, celle
de Toulouse en 1971 et la dernière en juin 1977
à Bonnieux (Lubéron) dans sa maison de vacances.
Mais d'autres réunions se poursuivront jusqu'à
celle tenue à Lisbonne en 1981 avec seulement quelques
participants. |
Team Ten ne développera pas de théorie,
mais une critique des conceptions rationalistes et technicistes
du Mouvement Moderne, voulant penser le passage d'une
société industrielle, organisée autour du
travail à une société caractérisée
par la consommation et la fragmentation sociale.
Ils contribueront à développer de nouveaux concepts
architecturaux.
À l'émergence d'un nouveau maitre comme Louis
Kahn s'ajouteront les contributions du Brésil avec
Oscar Niemeyer et l'école Carioca, le Japon avec
Kenzo Tange et le Groupe des architectes métabolistes
et d'autres.
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