Le Groupe des architectes modernes marocains
GAMMA

Les figures relais d'Écochard et de l'ATBAT-Afrique
dans la création du Groupe des architectes modernes marocain (GAMMA)

 

 

Les architectes qui bâtirent la Ville Nouvelle d'Agadir après le séisme, formaient déjà dans les années 50, un groupe structuré par des origines communes et des itinéraires voisins. Beaucoup avaient été "recrutés" par Michel Écochard (directeur du Service de l'Urbanisme au Maroc) dans les ateliers parisiens où ils avaient reçu une formation très classique tout en adhérant spirituellement aux préceptes modernes. La plupart étaient nés au Maroc ou y avaient grandi, porteurs d'une double culture comme Azagury, Zevaco, De Mazières, Verdugo, Amzallag (Nadau, 160).

"Nous étions tout à fait au courant de l'évolution du travail entrepris au Maroc. On suivait tout cela de près car c'était considéré comme avant-gardiste" (extrait d'un entretien avec l'architecte Georges Candilis, réalisé par Marlène Ghorayeb, Paris, juin 1993).

À la fin des années 40, de nouveaux groupes émergent dans les congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM).
Pour le groupe marocain, l'initiative en revint, semble-t-il à Sigfried Giedion, historien et secrétaire général des CIAM, qui souhaitait obtenir la contribution de Michel Écochard qu'il avait rencontré à New-York.

 L'action d'Écochard, directeur du Service de l'Urbanisme au Maroc, trouvera un écho mondial grâce aux congrès internationaux d'architectures.
Écochard est admis en 1949 au Congrès de Bergame en tant que "membre individuel" des CIAM pendant que le groupe marocain d'architectes se structure.

L'action d'Écochard sera déterminante : à la tête du service de l'Urbanisme, Écochard applique un discours fonctionnaliste et constitue le relais de la diffusion de la Charte d'Athènes (Cohen et Eleb, 1998, p. 306).

 

 Formation du GAMMA

À Casablanca, dans les années 50, les jeunes architectes profitent d'un climat cosmopolite et travaillent aux côtés d'architectes de toutes origines ; dans un pays où la demande immobilière est très forte, leur attention se porte avec enthousiasme sur les mouvements architecturaux du monde entier (Lucie Hofbauer, Transferts de modèles architecturaux au Maroc, Les cahiers de l'EMAM, 2010).
L'espace de dialogue pour ces architectes sera le GAMMA (Groupement des architectes modernes marocains). Les réunions ont lieu à Rabat, là où habite Michel Écochard.

En novembre 1949, les conférences de l'architecte Marcel Lods (architecte qui réalisa avec l'ingénieur Vladimir Bodiansky (ATBAT-Afrique), l'actuel Hôtel de la Province d'Agadir en 53-54) et de Bodiansky, tous deux membres des CIAM, célèbrent avec enthousiasme les vertus du zonage fonctionnel et montrent les parrainages d'Écochard dans le cadre de ces congrès (Cohen, 291).

 

 À l'issue du congrès d'Hoddesdon (R-U, 1951), le GAMMA est accepté comme branche à part entière des CIAM.
Le projet du nouveau quartier Yacoub el Mansour étudié par les Services d'Écochard pour Rabat et publié sous la signature du "Groupe CIAM du Maroc", constitue selon Cohen le véritable bulletin de naissance public du GAMMA (Cohen, 307).

La formation du GAMMA constitue l'aboutissement des actions convergentes et successives d'Écochard et de Georges Candilis tous deux préoccupés par le logement social collectif (Cohen, 306).

Ces jeunes architectes travaillant au Maroc, présentent aux CIAM au début des années 50 de nombreuses réalisations, alors qu'en France, les architectes ne parviennent pas à bâtir leurs projets.


Les réalisations de ces architectes font l'objet de publications dans la revue "Architectures d'aujourd'hui ".
Les architectes Marcel Lods et Georges Candilis font partie du comité de rédaction de la revue L'Architecture d'aujourd'hui (N°60, VII, juin 1955).

 Actions du GAMMA

Les jeunes architectes marocains qui exercent au Maroc : Élie Azagury, J.-F. Zevaco, Henri Tastemain ou Jean Chemineau présentent aux CIAM au début des années 50 un certain nombre de réalisations individuelles : commandes privées (villas, immeubles, cinémas, stations-services etc.) et commandes d'État (Hôpitaux, collèges et lycées, etc.).
Se réclamant du GAMMA, cette génération d'architectes sera reconnue internationalement sur la scène des CIAM (Cohen et Eleb, 1998, 307).

Écochard et le Service de l'Urbanisme

 Loin de se contenter d'être un relais dans la diffusion de la Charte d'Athènes, l'équipe du Service de l'Urbanisme au Maroc mène une réflexion qui déplace vers le Sud le discours fonctionnaliste.
Il s'agit de rompre avec les problématiques centrées sur les taudis urbains et îlots insalubres européens en prenant en compte les usages et habitus des ruraux marocains transplantés en bordure des villes (Cohen, 306).
La réflexion théorique et les projets du Service de l'Urbanisme s'appuient à la fois sur l'observation des modes d'habiter des ruraux dans les villages et dans les bidonvilles et sur la critique des réalisations antérieures.
Ils s'appuient sur les études réalisées par des sociologues comme R. Montagne, J. Berque et Dj. Jacques-Meunié et sur les habitudes séculaires pour mettre en place une architecture fonctionnelle, sobre et vernaculaire.

Écochard cherchera à faire vivre dignement une catégorie de population pauvre qui a ses traditions en développant une théorie sur l'habitat du plus grand nombre en s'appuyant sur la Charte d'Athènes pour créer des cités sur une trame horizontale de maisons sur cour 8 x8 groupées en unités vicinales équipées.
 
 Dès 1952, les travaux de l'ATBAT-Afrique (filiale basée à Casablanca, animée au Maroc par l'architecte Georges Candilis et l'ingénieur Bodiansky) seront pris en compte par les CIAM quand Vladimir Bodiansky fera admettre par le Conseil Économique et Social de l'ONU l'importance de l'Habitat du plus grand nombre.
Ce document sera discuté en 1952, à la réunion préparatoire du CIAM 9 (Aix en Provence 1953) à Sigtuna.
Si Candilis, Woods et l'ATBAT-Afrique furent des rassembleurs (Élie Azagury, cité par Lucy Hofbauer, 2007), les clivages existants entre les membres français des CIAM finiront par se répercuter au Maroc.
Ainsi, au sein d'une même agence, l'ATBAT Afrique (basée à Casablanca à partir de 1951), l'ingénieur Bodiansky est affilié au groupe Lods, alors que Candilis restera assez longtemps proche de Le Corbusier.

Quant aux jeunes de l'équipe Écochard, ils sont affiliés au groupe dénommé "La Cité" animé par Roger Aujame (Cohen, 307).
 

En 1953, l'équipe de l'ATBAT-Afrique est rejointe par l'architecte Shadrach Woods et réalise une opération expérimentale aux Carrières centrales de Casablanca. Écochard conscient que l'habitat en rez-de-chaussée horizontal ne peut se décliner à l'infini, suggère à Candilis d'explorer une solution à la trame horizontale.
L'ATBAT-Afrique s'intéresse aux architectures du sud marocain comme les greniers citadelles ou les villages fortifiés de l'Atlas afin de "réaliser un habitat collectif tenant compte du climat, de la culture, et du contexte local" (Curtis, 2006, p. 443).

Vladimir Bodiansky, les architectes Georges Candilis, H. Piot et Shadrach Woods poursuivent le travail de recherche pour l'Habitat du plus grand nombre (thème pérenne des CIAM) aux Carrières Centrales de Casablanca et créent en 1953 une Cité expérimentale pour une population musulmane à faibles revenus.

Pour ces architectes, il s'agit de trouver des formes architecturales, des structures prenant en compte les conditions économiques et sociales des plus démunis en leur apportant un élément essentiel, la dignité (Les Carrières Centrales à Casablanca, immeubles Semiramis et Nids d'abeille). Au sein de l'immense nappe horizontale de maisons à patio de type Écochard, trois petits immeubles collectifs proposent une solution nouvelle : une petite tour de Bodiansky, un immeuble Semiramis et un immeuble Nid d'abeille, solution radicalement différente de ce qui s'était fait jusqu'à présent. Il s'agit d'interrompre la trame horizontale d'Écochard et d'explorer des modes de composition différents de la trame 8 x 8 dans l'espace.

Au lieu d'aligner des blocs sur une trame horizontale, les architectes cherchent à les articuler entre eux, et à créer des espaces rompant la monotonie tout en luttant contre le gigantisme et en humanisant l'habitat. Cette présentation conteste l'éclosion de bâtiments à l'infini et ouvre le champ de constructions déclinées en vertical de la trame horizontale d'Écochard.

 
Candilis constate que "les kasbahs du Sahara, les ksour(s) villages fortifiés de l'Atlas, les greniers citadelles collectifs reflètent cette aptitude des gens à vivre l'un à côté de l'autre en respectant l'intimité familiale, tout en gérant d'un commun accord les affaires d'intérêt commun" (cité par Cohen et Eleb, légende d'un panneau de l'exposition "La Cité verticale" au CIAM d'Aix-en-Provence de 1953).
 

Ces bâtiments du Maroc enthousiasment les architectes Alison et Peter Smithson pour qui ces bâtiments représentent la plus grande réussite depuis l'Unité d'habitation de le Corbusier à Marseille.

"Alors que l'Unité d'habitation était le point d'aboutissement d'un mode de pensée : l'habitat formulé il y a quarante ans, l'importance des bâtiments marocains réside dans ce qu'ils sont la première manifestation d'un nouveau mode de pensée

Ils sont donc présentés comme des idées, mais leur réalisation en vraie grandeur nous convainc qu'ils représentent un nouveau principe universel"
(cité par Cohen et Eleb, " Collective Housing in Morocco ", Architecture Design, janvier 1955, p. 2).

C'est la rencontre de la problématique universaliste de l'architecture moderne et de la volonté d'adaptation aux cultures et aux identités locales de cette génération (Cohen et Eleb, 332).

Une quinzaine d'architectes du GAMMA participent en 1953 au Congrès d'Aix en Provence.
Ils présentent les réalisations du Service de l'Urbanisme avec des comparaisons photographiques à l'appui entre les villes anciennes et les nouveaux quartiers.

La grille conçue par l'urbaniste Pierre Mas en liaison avec Écochard pour le GAMMA sur l'Habitat marocain rivalise avec celle de l'ATBAT-Afrique sur l'Habitat du plus grand nombre préparée par Candilis à laquelle Mas a également travaillé.

 
 
Le GAMMA comprend principalement les architectes Élie Azagury, Domenico Basciano, Éliane Castelnau, Béraud, Georges Candilis, Jean Chemineau, Georges Delanoé, Édouard Delaporte, Michel Écochard (en dépit de son départ du Service de l'Urbanisme au Maroc), R. Deneux, Wolfgang Ewerth, Robert Forichon, Georges Godefroy, Gaston Jaubert, Pierre Mas, Élie Mauret, Paul Perrotte, Shadrach Woods, Henri Tastemain, Jean François Zevaco (Lucy Hofbauer, nbp 4, Le mouvement moderne marocain à l'épreuve du tourisme, Centre Jacques-Berque, 2018).
 
 

Les projets marocains rencontreront un vif succès aux CIAM.
Dans la perspective du congrès de Dubrovnik (CIAM 10, 1956), le groupe prépare deux grilles présentant les recherches en cours au Maroc prolongeant celles qui avaient eu tant de succès à Aix en Provence.

Jean Chemineau et Henri Tastemain, accompagnés d'Élie Azagury et de Louis Riou participent aux travaux de la commission du Congrès sur "l'Urbanisme comme partie de l'habitat" mais ne présenteront pas leurs grilles.

Dans la période qui sépare le congrès de Dubrovnik (CIAM 10, 1956) de celui d'Otterlo (Team X, 1959), Jean Chemineau poursuivra depuis le Maroc qu'il quittera en 1957, un travail épisodique de délégué.
Élie Azagury représentera le GAMMA au Congrès d'Otterlo en 1959 (Cohen, 420).

 

 
Le GAMMA constituera un espace de dialogue pour les jeunes architectes marocains Jean François Zévaco, Jean Chemineau, Élie Azagury ou Gaston Jaubert.
Les discussions ont lieu à leur domicile et ont pour objectif de faire exister la branche marocaine dans les CIAM.


En 1956, Jean-François Zévaco reçoit une convocation intitulée GAMMA CIAM Maroc qui précise que la prochaine réunion prévue pour le 7 mars 1956 à Rabat est reportée au mardi 13 mars à 21 heures, chez Chemineau, rue Normand à Rabat (Hofbauer, 2007, Annexe 18).

La liste des destinataires concerne les architectes Aujard, Élie Azagury, Domenico Basciano, Jean Chemineau, Delanoé, Édouard Delaporte, Deneux, Ewerth, Forichon, Godefroy, Gaston Jaubert, Pierre Mas, Mauret, Perrotte, Louis Riou, et les Tastemain Henri et Éliane Castelnau. La présence de Forichon et de Godefroy qui travaillent au Service de l'Urbanisme au Maroc montre combien le mouvement est lié à l'équipe d'Écochard (Lucy Hofbauer, 2010).


La reconstruction d'Agadir après le séisme, à partir du Plan directeur de la ville et des plans d'aménagement du bureau de l'Urbanisme, constituera la grande œuvre commune dans laquelle se retrouveront les membres du GAMMA.