Elles avaient accompli avec courage la réalisation du pont Tildi
(Récit de Lahsen Roussafi)

 

 

 

Fatima Mohamed Ou Lyazid est l'une de ces femmes courageuses parmi tant d'autres, d'avant le séisme.

En 1928, une jeune fille de quatorze ans vint à Agadir pour y travailler comme d'autres filles et garçons, à la demande du pacha Tamri Si Lahcen Ou Brahim qui cherchait à s'entourer d'Ihahane.

Cette jeune fille s'appelait Fatima Mohamed Ou Lyazid. Son douar Akhesmou se situait à l'Est de Imssouane chez les Ihahane (Haha).

Elle fut embauchée comme ouvrière de peine sur la construction du pont Tildi.
Ce pont fut le premier pont d'Agadir construit pour faciliter la traversée de l'Oued Tildi par les convois militaires de la pacification du Sud.

L'Oued Tildi dans le temps, charriait les eaux des sources toute l'année jusqu'à la mer à hauteur de ce qu'on appelle aujourd'hui le Restaurant "Jour et Nuit".

Les ouvrières et les ouvriers travaillaient de 6 h du matin à 18 h avec une pause seulement à midi.
Le travail était pénible et tout se faisait à la main. Les engins mécanisés n'étaient pas encore arrivés à Agadir.
Fatima, ma mère, me racontait qu'elle gagnait 2 grouches par jour, ce qui représentait un demi-franc. Toutes les fins de semaine, elle recevait 2 kg de farine d'orge, 100 gr de sucre, une pincée de thé.

Le chantier était visité par des militaires gradés qui prenaient des photos - je rêve d'en trouver une de maman.

Tout le long de la journée, ces jeunes filles chantaient et les jeunes hommes faisaient de même pour oublier la dureté du travail.
Fatima effectuait à pied le trajet jusqu'à Yachech qui commençait à se bâtir sur le flanc gauche de la colline.

 

 

Au bout de quelques mois de travail sur ce chantier, elle noua une belle amitié avec le jeune maçon mâalem qui travaillait sur le même ouvrage. Il était lui aussi des Haha et du douar Id Aissa à Igui Imzi.
Il s'appelait Mâalem Ahmed Ou Ômar et avait 19 ans.



 Le pont fut terminé vers 1932.

C'était le plus beau pont de la région et sur le plan architectural il ressemblait à un pont européen. 

C'est de ce pont Tildi que la liaison se fit entre ma mère et mon père. C'est de ce pont que mon histoire a commencé.

Souvent, je le visite et je passe du temps à méditer et à revoir cette jeune fille, courageuse, portant des pierres sur son dos. Je vois cette jeune fille porter des centaines et des milliers de fois, des couffins lourds de sable.

 Je la vois monter et descendre à longueur de journée ce ravin …
exactement comme elle me le racontait à chaque fois que nous passions ensemble sur ce passage obligé vers notre village de Yachech.

 


Fatima répéta durant toute sa vie, combien elle avait été heureuse d'avoir elle-même participé à la construction de ce chef d'œuvre.
Ce fut une fierté pour elle de voir son utilité reconnue de 1928 à sa mort en 1995.

Aujourd'hui, si cette femme revenait sur terre, elle pleurerait de voir ce pont vestige de la ville, abandonné à son sort.

Ce pont mériterait une réhabilitation pour que nos touristes nationaux et internationaux viennent le visiter et l'entendre raconter son histoire depuis 1928.
Ce pont pourrait sortir de l'oubli et donner l'occasion de prier pour l'âme de ces courageuses pour qu'elles reposent en Paix.

(Traduction de l'article paru en arabe sur ces femmes courageuses dans la revue Tamgharte, par Lahsen Roussafi, septembre 2012).