Au début du XXème siècle, Talborjt n'est encore qu'un plateau couvert d'euphorbes avec quelques gourbis épars qui dominent la baie, enchâssé dans les collines environnantes, cerné par des ravins. Seuls existent les villages historiques d'Agadir Oufella (la Casbah) et de Founti en corniche qui poursuivent une vie de misère depuis que le sultan Sidi Mohamed ben Abdallah a fermé le port d'Agadir au XVIIIème siècle et interdit le commerce pour des raisons de politique locale.

À partir des années 1920, sous le Protectorat français (1912-1956), quand la perspective de l'ouverture d'Agadir au commerce se trouve confortée (1930), quand les baraquements du bord de mer provisoirement érigés sont appelés à disparaître, alors Talborjt prend son essor.
 


 
Origine du mot Talborjt

Talborjt est un mot berbère qui signifie petit borj, petit fortin, mot construit à partir du mot borj emprunté à l'arabe.
Avec un T initial et un T final, Talborjt est un mot féminin à moins qu'il ne s'agisse d'un diminutif.

En tachelhit, le Cap Ghir se dit Borj ndow (le fort de lumière, fanal) et tous les petits bâtiments qui abritent les transformateurs à Agadir portent encore le nom de Borj ndow et tous les châteaux d'eau portent le nom de Borj ouwamen. Le réservoir d'eau de Talborjt fut construit en hauteur, avant le développement de ce quartier, petit fort d'eau dont on a gardé le nom de Talborjt ouwamane, d'où le nom de Talborjt donné à ce quartier, nous disent joliment les Anciens (Lahsen Roussafi).

Si pour les Marocains, c'était Talborjt, les Français hésitaient du point de vue de l'écriture et de la prononciation entre Talbordjt et Talbordj.
 

Sur un panneau du boulevard de la République dans les années 1952-3, on voit écrit Talbordjt ainsi que sur la pancarte du groupe scolaire de la rue de Pau en 1955.

 

 

Début de Talborjt

Talborjt, dit-on, faisait partie de ces terres appartenant au sultan (terres Makhzen) qui en aurait laissé l'usufruit aux tribus guich astreintes à des obligations militaires pour qu'elles les cultivent ou fassent pâturer des animaux et prospérer des ruchers en compensation du service militaire rendu. Mais au XIXème siècle, le Souss très convoité attire les grandes puissances, aventuriers de toutes sortes et des terrains auraient été vendus plusieurs fois par des spéculateurs alors même que le qadi refusait d'acter les transactions. De 1930 à 1932, la commission Zeys règlera les litiges immobiliers et le plan de la ville sera tracé en fonction des contraintes géographiques.

Talborjt apparaît "ville arabe", "ville indigène", comme il se dit alors, dans la bande étroite entre la montagne et l'océan, entre la ville nouvelle plutôt européenne et le Quartier Industriel.
Si les photos de la fin des années 20 montrent un front de mer construit en baraquements, on peut apercevoir, au début des années 30, quand Agadir fut érigée en municipalité et son port enfin promis à une ouverture rapide, des constructions récentes en dur qui dominent la baie.

Ces constructions, en poste avancé sur le plateau de Talborjt, comme la Villa Barutel et l'hôtel Gautier, sont reliées au Front de mer par un escalier historique, seul vestige actuel de ce qui fut.

Mais au delà, la ville marocaine émerge sur le plateau autour d'un grand axe central tracé par les hommes, les animaux et les premières voitures à moteur.

Au milieu de ces constructions, la Place du Commerce apparait déjà structurée pour et par le commerce comme son nom l'indique.

Des bus sillonnent le grand Sud marocain et les commerces gravitent autour de la piste centrale d'autant qu'Agadir est maintenant une ville militaire générant ses commerces et ses lieux de plaisir.
Le plateau voisin de Talborjt proprement dit, est à son tour investi pour mettre en place le château d'eau, l'hôpital inauguré en 1932 par le résident Lucien-Saint avec les villas des médecins, et portera le nom de Plateau administratif.

 

 

 

Évolution économique et sociale

Talborjt devient un quartier cosmopolite et populaire où vivent majoritairement des Berbères parlant la tachelhit, Chleuhs (Ichelhaïne, Chellaha), Haha, Ida ou Tanane, Chtouka mais aussi des Arabes, des Juifs marocains (Israélites selon le terme en usage) qui ont quitté les mellahs de Mogador, du Souss, d'Illigh, d'Ifrane de l'Anti-Atlas, d'Akka, des Français de métropole et des Pieds noirs d'Algérie, des Espagnols, des Portugais, des Italiens, des Russes blancs, des anciens de la Légion étrangère et bien d'autres encore qui sont amenés à se côtoyer sans soucis apparents.

Talborjt monopolise rapidement le commerce de gros et de demi-gros, la majorité du commerce de détail, développe des activités de la vie courante dans de nombreuses petites boutiques et épiceries soussies, des cafés maures, fours traditionnels et boulangeries, bains maures, cafés, restaurants hôtels (15), cinémas (3), tabacs, pharmacies (3), avec des artisans juifs, des tailleurs civils et militaires, coiffeurs, quincailleries, électricités de toutes sortes, garages, entreprises diverses du bâtiment.
Talborjt dispose d'un marché couvert qui sera rénové et étendu au cours des années 50, des abattoirs rituels pour les Musulmans et les Juifs et un souk hebdomadaire du dimanche.

Des écoles européennes, musulmanes et juives, sont mises en place ainsi que des lieux de cultes, musulmans avec la Grande Mosquée du vendredi construite en 1942 et des zaouyas, une chapelle de Saint-Antoine rue Marrakchi pour les catholiques, des lieux de culte juifs, synagogues, yeshiva et écoles de l'Alliance Israélite, un tribunal coutumier d'appel, une mahakma du qadi et du pacha.

Une Poste centrale (1952-3), un poste de police puis un commissariat s'établissent, des taxis, des bus urbains sillonnent Talborjt qu'ils relient à la Ville Nouvelle, au Quartier Industriel, à la Casbah, à Yachech, à Founti, au port et à Anza.

Au début des années 50, la Chambre de Commerce Marocaine a son siège place du Pacha. En 1947, les membres titulaires des Chambres Marocaines Consultatives sont Abbès Kabbaj et Hamouad Ou Lyazid, et les membres suppléants sont Moulay Chaffaï et Si Omar Mesguini (arrêté municipal du 5 décembre 1947).

À la fin des années 50, Talborjt est une vraie ville, ville bourdonnante dans un bain de lumière, rythmée par son souk du dimanche et le chant du muezzin, aux odeurs mêlées à celles de la mer et du port, exacerbées par la chaleur.
 

 

 

 
Architecture

Sur le plan architectural, Talborjt est composée de maisons accolées comportant un ou deux étages qui se surajoutent en fonction des besoins, organisées autour d'un patio ou d'une cour intérieure avec une terrasse à l'étage. D'où un aspect plaisant de maisons éclatantes de lumière avec quelques décorations simples au niveau des fenêtres et des portes. Quelques bouquets d'arbres s'échappent des riads, des faux poivriers entourent la mosquée, une couronne d'eucalyptus fait le tour du souk. Dans les cours, des orangers, des pots de basilics, des géraniums odorants, et des belles de nuits ou des jasmins, embaument.


L'architecture des maisons favorise les rencontres avec une seule entrée pour tous et des couloirs en dominos : là une famille juive, une famille musulmane, là une famille française ou portugaise, etc. Lors d'un mariage, les familles alentour participent à la préparation de la fête.
 

 

 
Limites du grand Talborjt

La rue de la Somme constituait la limite inférieure de Talborjt. Elle rejoignait la rue de Talborjt jusqu'à l'entrée du ravin El Ghezwa puis montait aux Carrières Moha Ou Hollande parallèlement à la rue Goulma, montait jusqu'au plateau où l'Imam de la Mosquée de Talborjt faisait les deux prières annuelles de l'Aïd (El Kebir du sacrifice et Es Seghrir de la fin du Ramadan).

La limite passait au-dessus de la route de Tildi du côté de la montagne pour suivre le boulevard de l'Hôpital, remontait la route qui passait devant la Résidence de France, englobant la villa Gergovie de Olloix, coupait le boulevard Moulay Youssef pour rejoindre la rue de la Somme.
À la fin des années 50, la population du grand Talborjt était évaluée à 23 000 habitants et la Ville Nouvelle à 8 000 habitants.

 
 


Ainsi fut Talborjt jusqu'à sa destruction
en quelques secondes dans la nuit du 29 février 1960
par un tremblement de terre particulièrement meurtrier.

Marie France Dartois, avril 2011.