Jean-François Zevaco est né le 8 août 1916 à Casablanca.
Il y passe sa jeunesse. Sa famille française est d'origine corse.
Enfant, il apprend à jouer du violoncelle et pratique l'escrime.
Sa fille unique Dominique Teboul témoignera de la passion de son père pour la musique classique (Liszt, Haendel, Satie).
Il est reçu 1er au concours d'admission de l'ENSBA de Paris (1937 ?).
Études à l'ENSBA de Paris.

C'est la guerre et l'école se replie en partie à Marseille, il fréquente l'atelier de Beaudoin qui formera à la modernité une génération entière.

Diplômé d'État en 1945.
Il accumulera les récompenses.

De retour à Casablanca, il enseigne aux Beaux-Arts de Casablanca et débute sa carrière d'architecte dans le cabinet du célèbre architecte Marius Boyer. Le Maroc d'après-guerre est alors une terre d'entreprise vers laquelle affluent les capitaux et où prospère une partie de la population.

Réalisations


Il conçoit plusieurs villas très originales selon une architecture résidentielle inspirée de Le Corbusier et de l'architecture californienne, des architectes américains comme Frank Lloyd Whight (1867-1959) un des fondateurs de l'architecture moderne.
Dès 1947, il crée le scandale en construisant dans le quartier huppé d'Anfa, la villa Sami Suissa du nom de son commanditaire (actuellement Café-restaurant "Chez Pau "), monument brutaliste lyrique (dite "villa Papillon" ou "villa Pagode") affichant une modernité raffinée qui déplaira beaucoup à la bourgeoisie catholique européenne d'Anfa.
La qualité du travail de Zevaco se distingue par celle du dessin, très précis, très soigné dans les détails. Les façades sont de véritables sculptures.
Zevaco réalise des villas cossues pour une élite marocaine avec patio, habitation introvertie.

 

La villa Suissa : il s'agit d'une architecture privée qui se met en scène avec un zoning évident (pièces de réception, espace réservé à la famille et au service domestique) une sorte de boite dans laquelle s'agence tout un programme de vie. Constituée d'une enveloppe moderne, d'un épais balcon qui ceinture la villa et sert d'auvent aux pièces de réception dans une ligne courbe et dynamique.

 

 La Villa Rosilio en béton blanc induit, avec des carrés de verre intégrés à la structure en béton. C'est une maison de verre et de béton, avec une interprétation moderne du claustra.
 

 

 

Villa de M. Bordes construite après l'indépendance : villa introvertie fermée à l'extérieur et aux regards avec portes en chicanes.
(Lucy Hofbauer, Transferts de modèles architecturaux au Maroc, les Cahiers d'EMAM, 20 / 2010, 71-86)


Immeubles

Zévaco adhère aux préceptes du mouvement moderne tout en offrant une réinterprétation radicale de cette architecture : minimaliste, maximaliste, baroque, moderne…. Un hymne au béton armé toujours réinventé.
"Je ne suis pas plus fonctionnaliste, que brutaliste, que bien d'autres " istes ", j'essaie de faire et de répondre avec toute ma sensibilité du moment à un programme proposé, sans souci de doctrines".
Tout au long de sa carrière, Zevaco ne tiendra pas de discours doctrinal, seule sa sensibilité sera son guide.
Zevaco concevra de nombreux immeubles et bâtiments d'envergure, associant béton, lignes pures et blanches, travaillant la lumière dans un style moderne d'intégration au paysage.

En 1958, il réalise en association avec Domenico Basciano et Paolo Messina l'aérogare de Tit-Mellil qui deviendra l'icône de l'architecture d'avant-garde au Maroc.

À Agadir avant le séisme :


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Il conçoit l'École de Talborjt en 1954-55.

La 1ère tranche de cette école fut terminée en 1955. Ce groupe scolaire était situé sur un terrain accusant une forte pente vers le N-E et le S-E. L'architecture fut réalisée en fonction de la forme particulière du terrain, de la dénivellation et de la nécessité d'abriter les bâtiments des vents d'Ouest dominants.
L'ensemble comportait une école mixte de 10 classes, une école maternelle et des immeubles d'habitation à réaliser ultérieurement dans la partie triangulaire du terrain qui s'étendait à gauche de l'entrée principale de l'école.
L'aile des classes fut tronquée en 2 parties inégales orientées au S et au S-E, reliées entre elles au R-C par le préau et  
à l'étage par des passerelles et la terrasse : on y accédait depuis les classes par des passerelles qui la prolongeaient et par un escalier à pallier à l'entrée principale au Sud. Ce système de circulation permettait une économie de surface sur la disposition traditionnelle de la galerie bordant les classes. L'ensemble était ainsi moins rigide, avec son préau profond et frais, conforme aux nécessités imposées par le climat. Les matériaux employés étaient le béton et la pierre, et le bois pour les menuiseries.
Dans le volume du préau se trouvaient le bureau de la directrice, les dépendances et le bloc sanitaire. Le préau était couvert par la terrasse (AA 60, juin 1955, p. 70-71) 


Reconstruction d'Agadir :

Zevaco contribuera activement aux grands chantiers nationaux de la reconstruction d'Agadir.

- Le bâtiment emblématique de la Poste centrale (1963) souvent cité, pour faire "de la structure et de la fonction, le fondement et la raison de la forme" se trouve aux antipodes de l'architecture post-moderniste, qui déferlera sur le pays à partir des années 80 (Jamal Boushaba, Centenaire. Zevaco, premier architecte marocain, Tel Quel, 21 août 2017).

Au cœur de la ville, la Poste centrale se situe sur une place au droit de l'Hôtel de ville. Un "timbre-poste" selon certains, des lignes pures, sobres, un béton doré, une lumière qui diffuse à l'intérieur.
La poste, malgré son échelle modeste est un joyau de l'architecture. "La beauté de ce bâtiment réside dans la compression entre les droites et les angles vifs et la tension entre les murs opaques et massifs s'opposant à des parois légères".

Tout ce jeu est rythmé par une lumière filtrée. L'obscurité, la pénombre donne un caractère poétique voire mystique à ce bâtiment.

 

La Tour d'exercice et la caserne des Pompiers (1963) au Quartier industriel Sud de la nouvelle Agadir. Symbole rassurant de la reconstruction surmonté d'une couronne qu'on voit de partout et qui donnait l'heure.

 

Les Maisons à patios - villas en bande (1964) à cour-jardins pour lesquelles Zevaco obtint le Prix Agha Khan en 1980.

Elles répondent au besoin urgent de loger des fonctionnaires. Il s'agit d'habitations économiques en rez-de-chaussée, éclairées de toute part, elles témoignent de la démarche régionaliste de l'architecte. Chaque habitation, mêlée à une végétation omniprésente, est flanquée de patios sur ses façades Est et Ouest afin de recevoir la lumière indirecte toute la journée (Lucy Hofbauer, inventaire). Le prix Agha Khan fut décerné en 1980 à Zevaco pour ses villas en bande


Les petits immeubles T1-T2-T3 qui entourent les maisons à cours ;
Le collège Souss Al Alima de la nouvelle Agadir avec ses ailes de papillon.

L'ombre de Le Corbusier et du béton brut plane sur ce brutalisme et transparait dans les écoles construites par Zévaco. Tout est important et soigné chez Zevaco, le travail avec l'ingénieur, les plans béton, le féraillage.

Mourad Embarek (Directeur du Service de l'Urbanisme) dira de son œuvre : "Sans doute, l'œuvre architecturale la plus originale en même temps que la plus authentiquement marocaine de notre époque. J'insisterais sur ce dernier aspect si je ne craignais d'amoindrir les qualités proprement modernes dans le sens international de cette architecture. (...) Zevaco me semble l'architecte du Maroc qui a su peut-être le mieux interpréter la leçon de l'architecture moderne traditionnelle... Pas de doute, ces réalisations-là sont marocaines par leur forme, l'équilibre et la nature de leurs volumes. C'est cette architecture-là qui a le plus de chance de s'intégrer aux villes marocaines".

 Selon Nadau, la figure de J.-F. Zévaco, irréductible à tout modèle, s'intègre parfaitement à l'ensemble collectif de la Reconstruction d'Agadir.


L'École de Rabat atteint avec lui l'exceptionnel. Zevaco montre la capacité de cette architecture à parler à l'imaginaire, à nourrir le rêve…

Zevaco entreprend un véritable recueil des possibilités de combinaison d'ombres et de lumières.

La revue L'Architecture d'aujourd'hui, la revue britannique The Architectural Forum et la revue japonaise The Japan Architecte furent importantes pour Zevaco, générant chez lui de nouveaux référents culturels.

 

 Artiste, sculpteur et architecte, Zevaco conjuguera art et technique, réinventera des formes pour faire "découvrir le béton sous ses aspects les plus lyriques".

"Il dépasse la question fonctionnelle pour donner l'impression d'une liberté absolue et revêtir ses espaces d'une atmosphère poétique".

L'habileté et l'élégance de Zevaco renvoient autant aux techniques de l'école des Beaux Arts qu'aux productions modernes (Cohen, 419).

Dans l'œuvre de Zevaco, l'approche régionale est perceptible dans l'habitat social.

Cette architecture se rattache aux principes véhiculés par l'ATBAT et apporte des solutions qui seront couronnées de succès.

En 1959, les logements économiques qu'il construit à Marrakech intègrent des principes développés par Le Corbusier en ce qui concerne la lumière et le climat mais aussi de la place de l'homme au centre des préoccupations (Lucy Hofbauer).

 

Dans ces réalisations, c'est une forte intégration au paysage qui est recherché avec des volumes bas comme celui des villas en bande et le béton laissé brut, visible dans nombre de ses œuvres.

 

 Il se dit que Zevaco fut un être humble, simple et solitaire mais un homme romantique, délicieux à vivre, un être flamboyant et plein d'humour, d'une grande culture littéraire et musicale.
Son œuvre est intemporelle et raffinée.

 

Jean-François Zevaco a reçu de nombreuses récompenses officielles dont le prix Agha Khan d'architecture en 1980 pour les villas en bande d'Agadir, la médaille d'honneur de l'Académie d'Architecture en 1985.

Il est mort à Casablanca en 2003.

 

 

 

 

Sources :
- HOFBAUER Lucy, Transferts de modèles architecturaux au Maroc, les Cahiers d'EMAM, 20 / 2010, 71-86.
- COHEN Jean-Louis et Eleb Monique, Casablanca, Mythes et figures d'une aventure urbaine, Éd. Hazan, 1998, 2004.
- COHEN Jean-Louis, Casablanca : de la cité de l'énergie à la ville fonctionnelle, Architectures françaises Outre-mer, Éd. Mardaga.
- ELEB Monique, Casablanca : de l'immeuble de rapport à l'unité d'habitation, Architectures françaises Outre-mer, Éd. Mardaga.
- NADAU Thierry, La reconstruction d'Agadir - Où le destin de l'architecture moderne au Maroc, Architectures françaises Outre-mer, Éd. Mardaga.
- MAMMA et Made in A. Centre d'architecture - Le voyage Zevaco 1916-2016 Centenaire d'un architecte marocain.
- RAGON Michel, TASTEMAIN Henri, ZEVACO, Éditions Cercle d'Art, 1999 (épuisé).