À
Agadir, sous le Protectorat, tout le monde connaissait Fernand
Barutel : Baroutil pour les Marocains, le roi de la
route,
Barutel "le roi du Souss" comme se plaisait à
dire son gendre André Guelfi.
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Dans les années
50, enfant, à force d'entendre parler de Fernand Barutel
: Barutel a fait ci, Barutel a fait ça, je pensais que
c'était un surhomme qui dirigeait la ville d'Agadir qu'il
avait créée. (Souvenir de MF Dartois).
Beaucoup l'ont considéré comme un pionnier, de
ceux qui ont contribué à la construction de la
ville à la période héroïque du Front
de mer des années 25-30, grâce à son ambition,
son dynamisme et ses camions alors qu'il n'y avait rien, ni route,
ni piste en dehors des routes des caravanes de chameaux.
"Ce grand
Monsieur, dit Baroutil, a laissé des traces comme
personne, raconte Lahsen. Même le grand chanteur
Raïss Belaïd parla de lui en rappelant qu'il avait
donné les voies d'accès aux villes du Maroc.
Il était chanté par les femmes d'Ihchach. Il avait
une main droite qui habitait notre village. Il avait contribué
à ouvrir l'école des filles et des garçons.
Il connaissait Ihchach où il était fréquemment
invité chez celui qui était surnommé Labacum
(La Vacuum Oil Cie).
A la demande d'un ancien aviateur, il intervint à la Chambre
de Commerce, en faveur du traducteur guide Abdallah de chez Latécoère.
Celle-ci donna une belle somme d'argent pour réparer un
oubli injuste envers cet homme qui avait rendu tant de services
aux aviateurs et mécaniciens.
Il intervint également pour faire libérer des Marocains
emprisonnés" (Souvenirs retrouvés par
Lahsen Roussafi).
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Bref, Barutel
fut un "monument" dans l'Agadir de 1925 à 1955.
Fernand Barutel naquit à Ayen
en Corrèze le 29 juillet 1897.
Troisième enfant d'une fratrie de quatre, il fut très
tôt orphelin de père et de mère.
Il avait 17 ans quand la guerre 14-18 éclata ; il réussit
à obtenir une dispense pour s'engager dans l'armée
de l'air. Jeune aviateur en opération d'observation, il
fut abattu par les Allemands à Verdun en juillet 1917.
Gravement blessé (son coéquipier fut brûlé
vif), aveugle pendant six mois, il fut soigné pendant
de longs mois. En convalescence à Casablanca,
il fut démobilisé en novembre 1918.
Il rencontra au Maroc, Joséphine Olive, alors jeune fille
au pair chez des fonctionnaires français.
Ils se marièrent et s'installèrent à Marrakech,
place Jemaa El Fna.
Fernand Barutel
débuta une entreprise de transports.
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En raison des
belles perspectives de développement économiques
qui se présentaient pour Agadir, Fernand Barutel
décida de créer dans les années 20, un établissement
de transports à Agadir dont on attendait incessamment
l'ouverture au commerce.
Il fit venir au Maroc en 1924 son frère André
BARUTEL, boucher charcutier à Ayen en Corrèze,
et son épouse Élisa (avec leurs enfants
Henri âgé de 4 ans ½ et Guy âgé
de 1 an ½) les chargeant d'organiser la construction des
Établissements Barutel à Agadir.
Fernand Barutel supervisait tout depuis Marrakech tout en organisant
les transports dans le Souss. Il disait qu'un camion valait un
bataillon en matière de pacification en rendant
hommage à un autre capitaine d'industrie : M. Épinat
(Nord-Sud, N° 10, 1933).
Fernand Barutel et son épouse Joséphine
rejoignirent André et Élisa Barutel à Agadir.
Jusqu'en 1930, la région d'Agadir se trouvait en zone
d'insécurité.
En 1932,
Fernand Barutel créa la SATAS (Société
Anonyme des Transports Automobiles du Souss).
"Sentant venir le vent, il (F.Barutel) avait perçu
les possibilités énormes de ce pays et installé
à l'époque héroïque, il avait dressé
sur place ses batteries. Son ingéniosité, son dynamisme,
son sens concret des affaires firent le reste jusqu'à
contrôler par ses camions toutes les richesses du Sud marocain.
Les Français d'Agadir, conscients de ses efforts victorieux
le nommèrent Président de la chambre mixte de Commerce
et d'Industrie.
C'était quelqu'un de serviable et on ne faisait jamais
appel en vain à son concours bienveillant. C'était
là une chose assez rare au Maroc où le vieil adage
: "chacun pour soi et Dieu pour tous, domine les rapports
humains" nous dit le Dr Campredon" (45 ans de souvenirs
marocains 1904-1948, p. 222).
Fernand Barutel
participa aux transports des militaires dans le Sud tout en prospectant
et organisant le transport par camion sur les pistes du Sud.
Ses déplacements dans le bled lui permirent de se lier
d'amitié avec des personnalités locales, civiles
(tels M. Demnati et Hadj Embarek) et militaires qui l'introduisirent
dans les territoires jusque-là interdits aux civils.
Son entourage
raconte qu'il fut amené à secourir un jeune enfant
gravement blessé de la famille de Ma El Aïnin (du
sultan bleu El Hiba), ce qui lui ouvrit des portes jusque-là
fermées aux Européens.
C'était
une caractéristique de Fernand Barutel : on le trouvait
partout, là où il y avait quelque chose à
créer ou tisser des liens entre les gens ; il n'avait
peur de rien.
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De fait, il était
dans tous les secteurs économiques de la ville naissante,
de toutes les inaugurations, de tous les défilés.
Sa large stature et sa chevelure blanche au vent, il souriait
et rassurait. Il savait faire de beaux discours. Les affaires
marchaient bien ; tout lui réussissait. Rien ne semblait
lui résister.
Il était considéré comme un grand transporteur,
il était à la fois un capitaine d'industrie, un
colon, un bâtisseur (la belle villa Fernande (architecte
Cavosi), la grande villa SATAS comprenant plusieurs logements,
l'immeuble superbe de la SATAS (architecte Erwin Hinnen), les
logements sociaux, immeubles à Talborjt, au Quartier industriel).

En 1932, Fernand
Barutel créa le Syndicat d'Initiative et de Tourisme
d'Agadir jusqu'à sa démission de Président
le 5 novembre 1937.
Les membres du bureau en 1932 étaient Fernand Barutel
(président), Paul Gautier et Louis Boisseuil (vice-présidents),
Farid Sambrana (secrétaire), Leroy (trésorier),
Pascal, H. Cohen, Ch. Laporte, Four de Taroudant (assesseurs).
La plupart du front de mer.
Il sera le fondateur en 1932 de la Loge maçonnique "Atlantide"
(GODF).
La République en ce temps-là comptait de nombreux
francs-maçons ; ces derniers participèrent activement
à la construction de la ville d'Agadir. Le 13 août
1940, les sociétés secrètes sont interdites,
et le maréchal Pétain signa le 19 août 1940
le décret de dissolution du GODF et de la Grande Loge.
Barutel et son ami Paul Gautier seront étroitement surveillés
en particulier après le débarquement des Alliés
au Maroc en novembre 1942.
Fernand Barutel
fut Délégué au Conseil du Gouvernement
à partir du 1er janvier 1947 et Président de la
1ère Chambre Mixte d'Agriculture, de Commerce et d'Industrie
de la Région d'Agadir.
Au moment de
l'Indépendance en 1956, Fernand Barutel reçut des
menaces pour sa sécurité. En 1957, il se trouvait
en France : on lui conseilla de ne pas retourner au Maroc. Bloqué
en France, Fernand vendit ses actions. Sa fortune était
au Maroc : il avait coutume de dire : "Le Maroc a fait
ma fortune, ma fortune restera au Maroc ".
Il s'installa à Pau presque ruiné ; avec l'aide
de proches, il acheta une petite entreprise de salaisons. Il
retourna au Maroc en 1968 et cette fois, les Soussi l'accueillirent
chaleureusement. Il mourut un an plus tard en septembre 1969.
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