J'ai travaillé à l'usine Basco Chérifien
Témoignage de Lahsen Roussafi

 

 

Dans les années 50 et précisément années 51-52-53, Lahsen Roussafi a travaillé dans l'usine de poissons qui portait le nom de Basco Chérifien, rue Olivier de Serres, devenue rue du Président Bekkaï après le séisme.

"Mon travail, nous dit Lahsen, consistait à nettoyer les boîtes de sardines sorties de la chaudière.
Je partais avec 15 à 20 garçons (11 à 14 ans) de mon quartier Yachech au quartier industriel, à pieds.

Le matin, au départ, nous passions par la montagne à travers les saucissons épineux pour atteindre le campement militaire des légionnaires (dit Camp IV ou Sigman). Une autre piste nous emmenait à la rue Turgot devenue rue du 18 novembre.
La nuit, au retour, nous prenions la rue Turgot, puis la rue Arago et le boulevard Théodore Steeg jusqu'au pont Tildi. Et là, on prenait à droite la route Tildi sur 5 km. C'était un long chemin que nous faisions la nuit vers 3 h du matin. Il était faiblement éclairé par des petites ampoules distantes de 100 m de poteau à poteau. En pleine Ville Nouvelle, on était souvent harcelés par des chacals car on sentait la sardine. A plusieurs reprises, les hyènes tournaient autour de nous à hauteur de l'Oued Tanout Ou Roumi.
Le groupe de courageux enfants se serrait les coudes et lançait des pierres pour éloigner les animaux qui nous hypnotisaient avec leurs cris.

 A l'usine, on se mettait autour d'un grand tas de boîtes de sardines, assis parterre, les pieds enveloppés de chiffons pour éviter les blessures. On mettait de la grosse sciure d'abord et on mélangeait le tout en pédalant sur le tas. Pour la seconde phase, on aspergeait le grand tas avec de la sciure fine et on refaisait la même opération … Cela durait entre 1 h et 1 h 30.
La dernière phase consistait à nettoyer les boîtes de conserve avec des chiffons et les ranger dans une caisse en bois léger ou parfois dans des cartons qui contenaient 100 unités.
Le travail se faisait à la tâche et chacun était payé par caisse finie.
Il restait encore la dernière opération qui consistait à coller l'étiquette autour de chaque boite.
Parfois, on arrivait à faire 30 à 40 caisses chacun, soit 150 Fr de gain. Pour nous, c'était colossal comme argent.

 

Durant la durée de notre "boulot" on chantait, on racontait les histoires de Joha le malin. On créait de l'ambiance pour ne pas s'endormir.
Le contremaître, lors de notre départ, nous distribuait une ou deux boîtes de sardines. C'étaient les boîtes accidentées lors de leur fermeture automatique.

Cette usine Basco Chérifien est devenue l'usine Belma. Elle est en arrêt depuis 1998. Son matériel de production a été transféré à la nouvelle unité construite dans la zone industrielle d'Aït-Melloul comme les autres conserveries du QI. Aujourd'hui, elle est devenue temporairement Replay Plast, une société de recyclage de tout ce qui est plastique, dirigée par un européen.

Je n'ai jamais oublié ces années de dure besogne, mais je gagnais largement mon argent de poche pour toute l'année scolaire au primaire.
J'ai appris avec le groupe, la solidarité, le rire, l'ambiance et l'entraide. Il arrivait que l'un de nous soit malade et n'atteigne pas un chiffre intéressant. Chacun de nous lui donnait une caisse". (Souvenirs de Lahsen Roussafi 2013)