Lahsen Roussafi dont la maman travailla
à l'usine Petitjean (1946-7), se souvient que pendant
son travail, elle cachait ses petits, sa sur et lui, sous
ses jupes et les nourrissait de sardines toutes chaudes. Quand
des responsables arrivaient, la contremaitresse le faisait savoir
et on cachait les enfants dans le grenier à sel où
ils poursuivaient leur sommeil.
Par la suite la maman de Lahsen fut amenée à travailler
dans la maison d'un directeur. C'est ce que nous raconte Lahsen
:
"Tantôt, dit-il, on prenait le camion pour partir
ou pour revenir de l'usine. Cela nous intéressait ma sur
et moi malgré la bousculade et l'étouffement en
position debout.
Ma mère était la seule ouvrière à
parler le français. La contremaitresse européenne
l'avait proposée au chef d'usine qui habitait la maison
de fonction au carrefour rue A et rue Appert. Ma mère
s'appliquait le plus possible pour garder ce poste où
elle ne travaillait que le jour.
Une petite voiture venait nous chercher le matin vers 7 h et
nous ramenait à Yachech vers 18 h.
Je ne me souviens pas avoir vu d'enfants chez ce couple. On passait
presque toute notre journée à jouer entre la villa
et la médina des ouvrières qui s'amusaient avec
nous et nous faisaient entrer chez elles, certainement avec le
recul du temps, pour voir en nous leurs enfants laissés
à Ait-Melloul, Inezgane ou ailleurs. Je me rappelle qu'elles
avaient toujours du sucre à nous donner ou des bonbons
multicolores qui avaient un goût de miel.
Maman n'oubliait pas ces femmes quand elles avaient des problèmes.
Elle me raconta plus tard, qu'elle intervenait auprès
de sa patronne pour reprendre ou pour mettre en congé
maladie telle ou telle femme.
C'était pour ma sur et moi le paradis terrestre
de jouer dans ce grand clos et de manger dans la cuisine. On
nous servait de la viande, du potage, du pain blanc tout frais
et du chocolat noir. Nous gardions pour la maison les desserts
comme les oranges, les pommes.
Je n'oublie pas cette jeune et belle patronne aux cheveux blonds
qui ressemblait à une poupée. Un jour, j'avais
osé lui toucher avec délicatesse ses longs cheveux.
Elle me regarda en souriant. De temps à autre, elle envahissait
tout mon petit corps de sa splendide chevelure. Je restais immobile,
les yeux fermés et je sentais un parfum que je n'ai jamais
retrouvé depuis.
Nous attendions avec impatience le retour à Yachech. Je
me rappelle très bien du circuit habituel emprunté
par la petite voiture. Au départ c'était la rue
Appert, puis la longue rue Turgot jusqu'à la rue Arago
puis le boulevard Steeg qui nous amenait au pont de Tildi et
de là, nous tournions à droite pour arriver à
Yachech.
Nous restions un bon moment avec nos amis du quartier pour leur
raconter notre journée et notre voyage. Ce n'était
pas donné à tout le monde, c'était presque
une vie de princes que nous racontions, ma sur et moi.
Le jour le plus long en joie, fut ce jour de retour à
la maison avec un short, une chemise et une paire d'espadrilles
bleues. Ma sur avait eu une jupe, une chemisette assortie
et des souliers de fille. Je n'ai pas oublié ce grand
stock de boites à sardines que ma mère avait mis
de côté.
Dommage que je n'ai pu retenir le nom de ce jeune couple, pour
lui rendre, aujourd'hui, un hommage venant d'un garçon
innocent et de sa sur, rescapés d'Agadir. "
(Souvenirs de Lahsen Roussafi)