En contrebas du
quartier de Founti, sur les terre-pleins du port, des carcasses
de bateaux désarmés brûlaient : des pêcheurs
revenus de la pêche avaient volontairement allumé
un feu pour éclairer les ruines dans lesquelles ils recherchaient
leurs familles ensevelies.
(W. Cappe, p. 24).
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Juan, le patron
d'un chalutier qui pêchait au large de "Plage blanche"
entendit, sur les ondes réservées aux chalutiers,
des hommes qui pleuraient : des pêcheurs marocains d'Agadir
alertaient leurs camarades en mer et c'est ainsi que Juan apprit
la catastrophe. Il força sa machine au maximum pour arriver
au plus vite avec ses hommes auprès des familles qu'ils
avaient laissées la veille. Le chalutier entra au port.
Sans se soucier du bateau, patron et marins sautèrent
à terre, courant chacun de leur côté découvrant
le désastre. Ils se dirigèrent probablement vers
la Cité du port, vers les petites maisons et vers Founti.
L'épouse de Juan put être sauvée mais pas
leurs deux petits enfants.
(W. Cappe, P. 84-85).
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Un autre marin
ou bien était-ce le même, raconta qu'après
avoir fait route toute sur le port et vers Founti où habitait
sa famille, il découvrit le village totalement détruit,
sans électricité. Après avoir récupéré
des pelles et des pioches, il eut l'idée de mettre le
feu à un bateau qui se trouvait au sec pour éclairer
les ruines. Le "Djeilan", yacht de 17,50 m en rénovation
aux Chantiers ACAS au port, à sec depuis 2 ans, flamba
très vite, éclairant le village jusqu'au matin,
ce qui permit à ce marin de sauver sa famille.
(Témoignage de Jean Le Rouzic, Agadir 1960).
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La plupart des militaires français
(1400 Marins et 350 Zouaves) qui intervinrent immédiatement
étaient logés sur la Base d'Aéronautique
Navale située à 7 km du centre ville.
Les marins de la BAN, quelques minutes seulement après
le séisme, se portèrent au secours des survivants
et réussirent de très nombreux sauvetages le plus
souvent au péril de leur vie.
L'héroïsme et le dévouement des marins
français lors de la catastrophe d'Agadir ne seront jamais
trop mis en valeur nous dit le Dr Corson (Dr P.-J. Corson,
S.O.S. Agadir, Medica voir et savoir, N° 6, mars 1960,
p. 7).
L'Escadre française
de la Méditerranée
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L'escadre de la Méditerranée
commandée par le vice-amiral Georges Cabanier venait
juste d'arriver aux Îles Canaries quand lui parvint la
terrible nouvelle du séisme catastrophique qui venait
d'atteindre Agadir le 29 février.
L'escadre partit aussitôt, au soir du 1er mars, de son
point d'escale et arriva à Agadir le mercredi 2 mars
à toute vapeur, avant le lever du jour.
Le croiseur "Colbert" portait
la marque du vice-amiral Cabanier.
Lors de l'arrivée à Agadir, les escorteurs d'escadre
"Châteaurenault", "Kersaint", "Vauquelin",
"Maillé-Brézé", "Chevalier-Paul",
"La Bourdonnais" et "d'Estrées" entouraient
le "Colbert" vaisseau amiral commandé par le
capitaine de vaisseau Salmon.
Les escorteurs rapides "Gascon", le "Basque",
le "Lorrain", le "Picard", et deux sous-marins
arrivèrent peu après.
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Au loin, on pouvait apercevoir l'imposante
silhouette du porte avions "La Fayette" qui
comme tous les bâtiments lourds et de fort tirant d'eau
devait rester loin de la côte, au-delà des fonds
de 10 mètres. Il disposait de 3 hélicoptères.
À bord du "Colbert", l'amiral Cabanier organisa
le plan des opérations.
Il disposait de 2 PC : un PC-Bord (croiseur "Colbert")
et un PC-Terre pour l'organisation des secours et la liaison
avec les autorités locales (W. Cappe 97-8).
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1500 hommes purent être débarqués
portant des masses, des cisailles, des chalumeaux oxycoupeurs,
des lampes-torches, du fil d'acier.
Le PC de l'escadre s'installa à proximité de l'immeuble
des Travaux Publics sur le Front de mer et prit en main la direction
des équipes de sauvetage et le déblaiement. Sur
le "Colbert", le PC-Bord fonctionnait depuis 7 heures
du matin pour diriger l'ensemble des opérations du débarquement
et assurait toutes les transmissions, notamment entre
Agadir et les ministères du gouvernement marocain à
Rabat. Dès 8 heures du matin, les compagnies de débarquement
furent envoyées à terre sous les ordres du capitaine
de frégate De Joybert, renforcées par d'importants
détachements des bâtiments.
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Dans les premières heures de la journée,
près de 2 000 marins de l'escadre participèrent
aux travaux de sauvetage et de déblaiement.
Un outillage important et du matériel de sauvetage et
d'hébergement furent débarqués ainsi que
des tonnes de denrées diverses.
Les boulangeries du bord fabriquèrent
du pain sans discontinuer. Les boulangers aidés d'une
quantité de mitrons auxiliaires avaient préparé
des fournées de pains pendant toute la traversée
depuis Les Canaries.
Le "Colbert" et le "La Fayette"
livrèrent dans les premières 48 h à la ville
démunie de tout, deux tonnes de pain et quatre de viande.
Le "Basque" et le "Lorrain" qui disposaient
d'installations de
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distillation d'eau de mer permirent d'approvisionner
la ville en eau potable (Dr P.-J. Corson, S.O.S. Agadir, Medica
voir et savoir, N° 6, mars 1960, p. 22).
Pour accélérer le transport des
vivres, tous les bâtiments reçurent l'ordre d'amener
leurs stocks sur le porte-avions "La Fayette" d'où
ils furent transportés à Inezgane par les 3 hélicoptères
du porte-avions. L'un d'entre eux s'écrasa dans les dunes
suite à un manque de visibilité du au brouillard
mais il n'y eut pas de victime.
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Organisation des secours :
En accord avec les Travaux Publics, le personnel
de l'escadre fut affecté au quartier européen.
Chaque compagnie de débarquement se vit confier un secteur
; au fur et à mesure des besoins, les équipes complémentaires
étaient amenées en renfort.
Sur le plan médical, l'escadre envoya à
terre 17 médecins et 32 infirmiers.
Toutes les servitudes du port furent assurées par
le personnel des navires.
Etat des lieux du port :
De son côté, l'escorteur côtier
"Goumier" faisait route sur Agadir venant de Casablanca,
où l'escorteur "Malgache" et les Landing Ship
Tank LST (navires de débarquement pour les opérations
amphibies) "Laïta", "Odet", "d'Arzew"
étaient attendus pour assurer des transports de moyens
lourds sur Agadir.
Dès son arrivée sur rade, le "Goumier"
fut chargé de sonder les alentours de la zone de mouillage
: rien ne sera observé quant aux fonds.
En même temps, les plongeurs démineurs du "Colbert"
sondèrent les fonds des bassins du port. Il était
absolument impossible aux bâtiments, même les plus
légers, d'entrer dans les bassins car sur les terre-pleins
les dégâts étaient importants : une partie
des quais avait glissé sur une grande longueur, tant au
port de pêche qu'au port de commerce.
Les hangars d'aconage ainsi que la Halle aux poissons
aux charpentes métalliques étaient bien debout
mais les murs de remplissage en maçonnerie étaient
lézardés ou effondrés par endroits. Les
grues montées sur doubles rails étaient inutilisables
: certaines penchaient dangereusement, l'un des rails s'étant
affaissé avec le sol de plusieurs cm parfois jusqu'à
50 cm. D'autres grues déséquilibrées s'étaient
renversées.
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Ravitaillement en eau :
Seul le "Basque" put franchir la
passe en début d'après-midi. Il était chargé
d'assurer le ravitaillement en eau des équipes
à terre et de faciliter la répartition du matériel
débarqué aux camions de la BAN.
L'un des graves problèmes qui se posaient était
effectivement celui de l'approvisionnement en eau. Les conduites
d'eau ayant été rompues, la ville en était
privée.
La BAN disposait heureusement de 3 puits équipés
de station de pompage. Dans la nuit et durant toute la journée
de mardi, les citernes de la BAN distribuèrent
de l'eau un peu partout.
La base aérienne française de Marrakech et l'amirauté
de Casablanca également.
Un caboteur hollandais, le "Mintaka",
parti de Casablanca arriva le mercredi 2 mars amenant 100
T d'eau potable.
Les fonctionnaires des Pays-Bas étaient
à bord et prenaient de leur côté, les mesures
nécessaires pour venir en aide à leurs ressortissants
sinistrés.
Moyens de communication :
Les télécommunications civiles
étaient pratiquement coupées depuis le 29 février
à 23h40. Immédiatement les services de la Marine
française à Casablanca envoyèrent deux
ensembles émetteur-récepteur pour parer au
plus pressé bien que le poste de la base fut intact. Une
entente fut rapidement réalisée entre l'escadre
et le ministère des PTT marocain : en attendant le rétablissement
des communications civiles, tout le trafic téléphonique
se fit par la radio militaire française, par le PC
Bord du "Colbert".
Le PC-Bord du Colbert assura notamment la liaison entre la direction
des Travaux Publics d'Agadir et le ministère à
Rabat par l'intermédiaire de la Marine nationale à
Casablanca. Ainsi, les demandes en matériel et en personnel
parvinrent à la capitale du royaume dans les plus brefs
délais.
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L'Escadre hollandaise
croisant dans l'Atlantique
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De nouveaux bâtiments de guerre vinrent se ranger dans
la rade d'Agadir. L'escadre hollandaise qui croisait dans l'Atlantique
se porta, à son tour, au secours de la ville dévastée.
Elle était composée du croiseur "De Ruyter"
entouré de 4 escorteurs. Le commodore du croiseur se présenta
immédiatement au PC-Terre de l'amiral Cabanier.
Les marins hollandais furent affectés
au quartier de Talborjt où ils rejoignirent les marins
français de la base et des aviateurs américains
qui travaillaient avec les civils européens et marocains
et avec les militaires marocains du Makhzen.
La Croix-Rouge hollandaise envoya 200 flacons de plasma et 700
couvertures qui furent chargés sur le MS (Motor Ship)
"Wickenburgh".
Il y avait dans la rade :
- l'escadre française (20 bâtiments),
- le croiseur hollandais "De Ruyter"
et 4 escorteurs (5 bâtiments dont le porte-avions Karel
Dorman),
- le croiseur US "Newport News" portant
la marque de l'amiral Galatin, qui fournit à lui seul
100 T d'eau par jour
- la frégate espagnole "Magallanès"
et 2 LCT (Landing Craft Tank) de débarquement espagnols,
- le destroyer italien "Indomito",
le ravitailleur "Ryne" et le dragueur "Darlaston"
tous deux dépêchés par la Royal Navy,
- le destroyer grec "Argonaphtis"
;
au total : 26 navires de guerre et des
cargos de commerce.
Tous les pavillons étaient en berne.
Les équipages de ces navires furent mis à la disposition du commandement
de la Marine française.
Les embarcations de tous ces bâtiments furent mises
en pool pour donner plus de souplesse aux mouvements.
À la demande du croiseur hollandais
"De Ruyter", l'escorteur côtier "Goumier"
assura le transport de la totalité des équipes
hollandaises, leur relève et leur rembarquement.
Les marins français de la BAN étaient affectés
à Talborjt, ceux de l'escadre française
en Ville Nouvelle, les marins hollandais ou espagnols
à Founti.
C'était le PC-Terre qui faisait les affectations.
Le dévouement de tous ces marins français,
hollandais, espagnols, impressionna tout le monde.
Les boulangers des grands navires travaillèrent
sans relâche, les bouilleurs des navires de l'escadre
ne cessèrent de produire de l'eau. Cette eau fut distribuée
parcimonieusement aux équipes par une jeep : le vice-amiral
Cabanier, lui même à bord de cette jeep, participait
au ravitaillement des hommes altérés.
Au PC-Santé de l'escadre qui se trouvait à
côté du PC-Terre et du PC des TP, on assurait les
soins d'urgence et parfois même des interventions chirurgicales.
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Le jeudi 3 mars, le porte-avions
"La Fayette" alla chercher à Casablanca des
troupes marocaines (2 800 soldats marocains) et 60 T de
vivres et des fûts de chlorure de chaux.
Des cargos de commerce comme Le "Mintaka", le "Tadla"
et le "Zagora" de la Cie Paquet qui sortait de la forme
de radoub, embarquèrent des tonnes d'eau, des légumes
et du désinfectant.
Trois cents hommes de la Préfecture de Casablanca montèrent
également à bord ainsi que des scouts.
Le cargo "Bismillah" de la Fred Olsen Line appareilla
à son tour avec 250 scouts et 120 gardes municipaux.
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Dès les premières heures
de la matinée du vendredi 4 mars, quand cessèrent
les déblaiements, les troupes de l'Armée royale,
sous le commandement du colonel Driss, investirent progressivement
la ville, demandant à tous les civils de s'en aller.
Les marins des escadres regagnèrent
leur bord.
En accord avec le prince Moulay Hassan et
l'ambassade de France, l'amiral Cabanier décida de retirer
l'escadre à l'exception du GASM (Groupe d'Action Sous
Marine).
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À 10 heures, le porte-avions "La
Fayette" était de retour. L'opération de débarquement
fut assurée par le LCT espagnol, par 2 vedettes et le
remorqueur "Founti" du port d'Agadir, réarmés
par des personnels du "Colbert".
Les officiers de l'État-Major du colonel Driss relevèrent
l'État-major d'escadre du "Colbert" au PC-Terre
en fin d'après-midi du vendredi 4 mars.
Le vice-amiral Cabanier se rendit au PC du prince pour prendre
congé de lui, accompagné du capitaine de frégate
Joybert.
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Le prince remercia vivement l'amiral
au nom de Sa Majesté le roi pour l'aide apportée
par l'escadre à la ville sinistrée.
Le samedi 5 mars, le vice-amiral
Cabanier remercia les marins et le personnel civil de la BAN
et les marins de l'escadre. Le croiseur "Colbert" appareilla
à 11 heures avec la division "La Bourdonnais".
Le porte-avions "La Fayette" partit à 14 h.
Le gros de l'escadre quitta Agadir.
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Un groupe de 6 bâtiments
légers, placé sous le commandement de l'amiral
Meynier, demeura sur place poursuivant en collaboration avec
la BAN la distribution des vivres et les soins médicaux.
Le samedi 5 à 8 heures, le "Châteaurenault",
la "Blaise" et la division "Chevalier Paul"
quittèrent à leur tour la rade.
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(D'après W. Cappe,
Agadir 29 février 1960, Histoire et leçons d'une
catastrophe, 1967) ;
Willy Cappe
(Témoignage de Jean Pinel) ;
(Témoignage du capitaine de vaisseau Henry Bigot) ;
(Témoignage du Dr Corson).
Par ailleurs :
212 médecins détachés
du contingent français stationné en Algérie
furent envoyés à Agadir.
Une soixantaine d'avions de la base présents lors du séisme,
affectés en 2 escadrilles 55S et 56S, entrèrent
en action dès le 1er jour du séisme. Parmi ceux-ci
: AVRO LANCASTER (14) ; BEECHCRAFT / SNB5 (14) et JRB4 (14) ;
SO95 (6) ; JUNKER 52 (3) ; LANGUEDOC MB 161 (9). Tous les avions
disponibles participèrent à l'évacuation
des sinistrés (Source J.Virebayre).
Un Globemaster américain transporta des bulldozers,
6 avions de transport américains don 2 hercule
C130, tandis que des appareils allemands (4 Nord 2 500),
italiens (2 Nord 2 500), espagnols, portugais
amenaient du matériel d'Europe.
Les Américains se posèrent avec du matériel
lourd, 150 militaires, 10 médecins et des
ingénieurs en déblaiement.
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