Construction du Port d'Agadir
1916-1946

 
 

Avant l'établissement du Protectorat français sur l'Empire chérifien en 1912, il n'existait pas de véritable port au Maroc, mais des rades foraines où se pratiquaient des opérations d'embarquement et de débarquement au moyen d'allèges lorsque la mer le permettait.
Seul Casablanca avait été équipée par le Makhzen d'un début de jetée-abri.

Agadir avait la réputation d'avoir une bonne rade foraine ; en 1912-3, le port était à créer.

La baie d'Agadir (30° 25' Nord et 9° 38' Ouest) constituait le dernier mouillage dans le Sud marocain, offrant un abri contre les vents du Nord-Est et d'Est.

Cependant, ouverte aux vents d'Ouest et de Sud-Ouest, la baie était dangereuse lorsque soufflaient ces vents surtout en hiver, quand ils soulevaient une forte houle. De plus, la rapidité de l'alternance des brises de terre et de mer faisait que souvent, "les navires mouillés sur rade, au lieu d'éviter normalement, couraient sur leur ancre, la surjalaient et la surpattaient" (CADN, Le port 1955, Travaux Publics).

Les marins craignaient par dessus-tout la houle ; les effets des houles du Nord Ouest étaient atténués par la direction de la côte Nord Sud à cet endroit. Les houles du Sud-Ouest se faisaient sentir avec force mais survenaient seulement pendant les premiers mois d'hiver (Montagne, p. 9).

Il fut décidé d'entreprendre la construction d'un port au pied de Founti, près du marabout de Sidi Abdallah, port qui serait abrité des vents du Nord par la colline de la Kasbah et des vents du Nord-Ouest par une grande jetée.

 

 
Les premiers travaux portuaires d'Agadir furent entrepris par les Français en 1916 pour des raisons stratégiques ; la guerre ayant éclaté, un port permettrait de ravitailler la région et d'y débarquer des troupes en cas de besoin ; la surveillance s'imposait pour éviter le débarquement clandestin d'armes et le soulèvement des tribus.
 
 
En 1916, deux projecteurs furent mis en place, ainsi que 2 canons de 140, au-dessus de l'ancien fort portugais.
En avril 1917, Agadir fut doté d'aviation afin de surveiller les sous-marins allemands et empêcher toute tentative de débarquement (J. Rouch, le Port d'Agadir, 1931).
  
 
 


 
 

La Jetée "portugaise"


Les premiers travaux concernant le port furent effectués par le Génie militaire qui construisit un appontement pour permettre le déchargement du ravitaillement ainsi que du matériel destiné aux travaux de la future grande Jetée. Cet appontement fut construit au pied du plateau de Talborjt perpendiculairement au rivage.

Le 22 septembre 1916, le général Lyautey, en tournée d'inspection, débarque sur la jetée "portugaise" d'Agadir.
Ph de A. Reboul - Ministère de la Culture - Médiathèque de l'architecture et du patrimoine.

 


L'appontement, débarcadère ou wharf, fut appelé communément "Jetée portugaise", on ne sait pour quelles raisons, et portait la date de 1916 inscrite dans sa pierre. Il fut équipé d'une grue à vapeur.

 


 
Le ravitaillement en eau restait difficile malgré l'installation d'une canalisation de fortune entre une citerne et l'extrémité de l'appontement.
Agadir devint une sorte de "base navale", poste de veille avec sémaphore et dépôt de charbon.
 

 
 M. Perré, conducteur de travaux fut chargé de la direction des travaux du port par le service des Travaux Publics exécutant en régie pour le compte de la Marine (Directeur général des Travaux Publics, inspecteur général des Ponts et Chaussées - CADN N° 3325, 24 février 1919).
 

 
 

Début de la Grande jetée Nord-Sud


 
Une centaine de mètres de jetée fut construite en 1917-18 par le Génie militaire, en direction du Sud ainsi qu'une petite cale de halage et différents magasins et ateliers (1950, revue Notre-Maroc, p. 46) (Note sur le Port d'Agadir, CADN).
Cependant la région n'était pas encore suffisamment pacifiée selon les autorités militaires pour envisager l'ouverture du port au commerce.
Par ailleurs, on craignait que le passage calme observé au milieu des vagues par où les barcasses gagnaient le large sans danger,
 
 
soit amené à disparaître par la formation d'un ressac qui rendrait l'accès moins facile si on poursuivait la construction des travaux.
Il fut décidé d'arrêter la construction de la jetée à environ 250 m à des fonds suffisants pour accoster en tous temps.
Un terre-plein devait être construit sur les roches au bas de Founti pour permettre la manipulation de grosses quantités de marchandises
(Les projets d'aménagements maritimes à Agadir, copie d'une note du S. E, 1920, CADN).
 

 
En 1920 : "Le Service des Travaux Publics continua avec les moyens rudimentaires dont il disposait, l'allongement de la Jetée-abri qui avait beaucoup souffert des tempêtes de l'hiver. La mission topographique poursuivit les levers du plan d'Agadir.
 
 
Le projet de port prévoyait son extension à l'Est dans la baie. En même temps, on étudiait le projet d'adduction d'eau de la source de Tildi" (La vie au Maroc, L'état de nos ports, Le Port d'Agadir, France Maroc, Juillet 1920). 
 

En juillet 1921, le Résident Lyautey vint inspecter Agadir. Il décida de retarder les projets de développement du port prévus, en raison du coût financier, de l'insécurité du port, de la situation foncière d'Agadir à apurer et de l'insoumission persistante des Ida Ou Tanane.

 
Mais les inquiétudes persistaient concernant le port.
En février 1922, le chef de bataillon Demillière, commandant le Cercle autonome d'Agadir fit savoir en haut lieu que par suite de l'ensablement de l'élément de port en construction à Agadir, le débarquement des marchandises n'était possible que pendant les quelques heures de marée haute, ce qui obligeait les bateaux à rester plusieurs jours en rade pour effectuer leur déchargement,
 
 
bien qu'il s'agisse souvent de faible tonnage (9 février 1922, à M. le Général, Cdt la région de Marrakech, CADN).
Il lui fut répondu en mars 1922, que l'ensablement était dû à la mauvaise situation de l'abri actuel et que des études étaient poursuivies en vue de la construction d'un môle dans un meilleur emplacement (CADN, N° 1134 SGP, 7 mars 1922).
 

 

En 1923 :


 
Le port était toujours constitué par une jetée orientée Nord-Sud de 170 m. de long, avec un quai de débarquement sensiblement normal à la jetée et muni d'une grue à vapeur au Sud. La construction avait été arrêtée pour deux raisons : en premier, le port situé au pied de la colline n'avait pas assez d'espace pour se développer à l'arrière vers Founti, et en second, à cause de l'ensablement.
"À l'heure actuelle, disait l'ingénieur Jean Raymond, on peut aller à pied sec, à marée basse jusqu'à hauteur de l'extrémité Ouest de
 

 
la grande jetée.
Le
 quai de débarquement sert maintenant à marée haute à débarquer les approvisionnements qui arrivent une fois par mois de Casablanca : c'est le seul trafic de ce port".
Quand à l'appontement de construction antérieure à celle de la jetée Ouest, le sable l'a envahi, il est complètement abandonné.
Il était fortement question que le futur port abrité par une (nouvelle) grande jetée soit construit à la sortie Est de Founti

(J. Raymond, Dans le Sous mystérieux, p. 330).
 

En 1925, rien de nouveau, "le port n'a pas été modifié : il est inexistant" (Note au sujet de l'ouverture du port d'Agadir, 4 novembre 1925, SR, CADN)

 

 
En 1927, selon A. Gruvel (professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle, conseiller technique du Ministère des Colonies), la région maritime d'Agadir et la région du Souss formaient relativement à l'industrie de la pêche, un ensemble remarquable par ses ressources naturelles dont l'exploitation pourrait avoir des conséquences considérables aux points de vue économique, politique et social pour le Sud-Ouest marocain et le Maroc tout entier.
Or, l'embryon de port s'avérait insuffisant pour réaliser de tels objectifs ; la jetée (Jetée Nord-Sud) longue d'un peu plus d'une centaine de mètres n'abritait qu'imparfaitement des vents du Nord et du Nord-Ouest pour l'accostage des barcasses de pêche (A. Gruvel, Le Port d'Agadir et la Région du Souss considérés au point de vue de la pêche industrielle, Faune des colonies françaises, T1, Fasc.1, N°1, 1927, p.2). À l'Est du port, l'appontement ("Jetée portugaise") exécuté en 1916, était maintenant abandonné.


La jetée Nord-Sud était en effet bien incapable de protéger une flottille de pêche qui se développait.
 

 
Pour mettre à l'abri les embarcations des gros temps du large, il était nécessaire de prolonger la jetée de quelques centaines de mètres et de former 1 ou 2 redans. Enfin, en vue d'organiser la pêche industrielle, il fallait prévoir sur cette jetée des cales d'accostage pour le débarquement du poisson.
Il était impossible aux bateaux de séjourner dans la rade par les forts vents d'Ouest et de Sud. Les navires d'un certain tonnage comme les chalutiers étaient obligés par fort vent de Nord-Ouest et de Nord d'aller chercher un abri plus efficace au sud de la pointe du Cap Ghir et le plus près possible de la terre. C'est dire qu'"Agadir en tant que port n'existait pas" nous dit le professeur Gruvel, et de fait, elle était encore fermée au commerce en 1927 (A. Gruvel, pp. 1-27).

Dans son rapport daté de 1927, Philippe Boniface consacre quelques mots au port d'Agadir ("le port a été commencé, et il existe déjà une petite jetée où viennent accoster les barcasses" plus loin : "le manque d'eau est le principal obstacle à l'ouverture immédiate d'Agadir, il faut tenir compte en outre de l'insuffisance des travaux du port. Il n'a encore été construit qu'une petite jetée qui n'offre plus aucune protection quand la mer est tant soit peu houleuse"

(Boniface, p. 38, CADN).
 


Agadir reçoit à cette époque mensuellement la visite d'un vapeur de faible tonnage appartenant à la Marine de l'État : Le "Forfait" qui vient ravitailler la garnison et celles des postes du Territoire (Boniface, p. 35 ter, Mémoire n° 18, 1927, CADN).

Les travaux furent suspendus pendant plusieurs années, durant lesquelles on chercha à faire l'inventaire des ressources du Souss pour examiner si elles justifiaient, comme certains le prétendaient, la construction d'un grand port.
Le résident Steeg se rendit à Agadir pour examiner l'état du port mais ce fut le résident Lucien Saint qui leva l'interdit en 1930.

 
 
 

1930

 Agadir fut érigée en municipalité en 1930. Le 1er février 1930, le résident Lucien Saint leva l'interdiction de commerce du port qui fut dès lors ouvert au commerce international.


À la fin des années 30, l'activité économique de la région, en particulier la pêche à la sardine, qui se développait de façon importante, réclamait avec force, un véritable port.

 On prévoyait à cette époque, de prolonger la jetée principale jusqu'à 2.000 m. de long, de créer une autre jetée partant du rivage pour fermer le port au Sud-Est, de créer des môles pour le minerai, le charbon, le mazout, une gare maritime au Sud-Est de la ville dans les dunes (Jean Rouch, Le port d'Agadir, 1931).

En 1931, la jetée principale atteignait 202 m et possédait un quai sur le côté Est, long de 85 m, avec une petite cale de débarquement qui permettait tout l'été de faire des déchargements à mi-marée, quelques magasins et ateliers.

Le quai était équipé d'une grue à vapeur fixe de 6 T et de 2 grues roulantes à vapeur de 3 T. Mais en hiver, les opérations de chargement et déchargement étaient difficiles.

Les petites embarcations pouvaient encore accoster à l'Est du village de Founti à la plage où se trouvait le wharf en béton armé qui ne pouvait servir qu'à marée haute et par beau temps (J. Rouch, 1931, Le port d'Agadir, p. 547-8). Différents corps de bâtiments neufs dont celui de la Douane furent construits ; le tout constituait un petit port à barcasses.

Un tronçon de voie ferrée reliait le port aux carrières pour apporter les matériaux nécessaires à sa construction (Martinot, Nord-Sud 1933, Le Présent, p. 26).


 
En 1933, quand on venait de Mogador, on pouvait apercevoir les infrastructures d'une voie de communication allant vers le port, emplacement des futures carrières et le tronçon de voie ferrée qui les reliait au port. Avant le passage de la pointe de Bougam surmontée de casernements militaires qui surplombaient le port, se trouvait la centrale électrique provisoire.
 

 
En contournant cette pointe, on voyait apparaître le début de la grande jetée avec une grue puissante et plusieurs petites, différents corps de bâtiments dont un constituait les locaux de la Douane, un port à barcasses avec terre-pleins bien tenus.

(Martinot, 1933, Nord-Sud, Le présent, p. 26).
 

 

 


Alors qu'à Agadir, l'avenir de la pêche paraissait certain et l'avenir commercial (agricole et minier) fort probable dès 1931, le trafic du port n'était que de 27 175 T, celui de Mogador de 24 571 T et celui de Safi de 78 777 T ((J. Rouch, 1931, Le port d'Agadir, p. 547-8).

En 1934, on acheva d'équiper les carrières pour entamer les travaux de prolongement de la Jetée début de 1935, travaux pour lesquels un crédit de 4 millions avait été affecté.

En 1939, selon l'ingénieur Jean Quinat, embauché en 1936 aux Travaux Publics d'Agadir, le port était constitué de la grande jetée (Jetée Nord-Sud), protégeant un quai de 100 m, et d'une profondeur de - 4 m ; ce qui était peu (J. Quinat, Mes souvenirs, p. 37-38).
Au large, une dizaine de barcasses ancrées à des points morts étaient indispensables pour effectuer le déchargement des bateaux. Quand un cargo arrivait, il jetait l'ancre près des barcasses ; un petit remorqueur les amenait contre le cargo ;
les marchandises étaient débarquées dans les barcasses qui étaient ensuite remorquées contre le quai - 4 (- 4 mètres de profondeur) ; une grue déchargeait ensuite les barcasses.
 

 

Un jour, il fallut débarquer une locomobile destinée au défrichement ; le chargement sur la barcasse et le remorquage au port se firent sans problème jusqu'au moment où il fallut virer au milieu du port pour aller à quai ; la barcasse s'inclina alors légèrement, la locomobile mal arrimée roula et tomba au milieu du port, s'enfonçant progressivement dans le sable sans qu'on puisse la relever.
D'autres fois, les grosses tempêtes rompaient les chaînes d'amarrage des barcasses qui partaient à la dérive jusqu'à l'embouchure de l'Oued Souss, obligeant les remorqueurs à aller les rechercher.


L'activité économique de la région réclamait un port plus important en raison du développement de la pêche à la sardine et des conserveries qui commençaient à s'installer.

Il fut décidé de prolonger la grande jetée de 150 m, de faire un quai de 180 m à la suite du précédent mais plus profond et d'exécuter une petite jetée transversale à l'intérieur du port qui devait servir au débarquement du poisson

(J. Quinat, ibidem, p. 38).
 
 


 Au 31 décembre 1940, les travaux exécutés depuis l'origine du port s'élevaient à 40 millions de francs.
Selon l'encyclopédie coloniale et maritime (4ème édition de 1942, p. 40) la jetée principale atteignait le PM 500 et les travaux devaient se prolonger activement en 1940-41 jusqu'au PM 700 (Direction Générale des Travaux Publics).

 

Ils furent à nouveau interrompus par la guerre 39-44 et ne reprirent qu'en 1946.