Lalla Yamena N'Brahim
Le moqaddem de Lalla Yamena raconte qu'en
1977 quand il s'occupait du sanctuaire de Sidi Boujm'a, il vit,
la nuit alors qu'il cherchait du bois mort, deux lumières.
En soulevant les décombres, il découvrit une tombe
bâtie qui serait la tombe de Lalla Yamena proche de celle
de Sidi M'hand.
Selon la légende, Lalla Yamena aurait été
la servante et la bergère d'une famille qui la traitait
durement, lui faisant garder les troupeaux le jour, et moudre
les grains la nuit. Alors qu'une nuit, le maître se réveilla
pour surveiller le travail de sa servante, il surprit la jeune
fille endormie près de la meule qui tournait toute seule.
Il la considéra alors comme une sainte.
Selon une tradition orale, Lalla Yamena serait la fille
du savant Sidi Brahim Ou Ali N'Tghalimine des Ida Ou Tanane.
Le père de la sainte, le saint Sidi Brahim Ou Ali N'Tghanimine,
enterré à Ida Ou Tanane, est très vénéré
par ces tribus. Il fut l'un des plus grands savants du Sud
marocain au Xème siècle de l'Hégire.
C'était un homme pieux, juste et craignant Dieu, qui enseigna
le Coran, les Hadiths du Prophète. Au temps des Portugais,
il aurait pris la décision de faire partir trois de ses
filles (dont l'aînée était Yamena) à
la Kasbah d'Agadir Ouffla pour éviter qu'elles ne soient
violées par des infidèles. Il les équipa
en mulets et nourritures. Les habitants de la Kasbah les accueillirent
à bras ouverts et avec des youyous. Elles prêchèrent
l'amour de Dieu, enseignèrent le Coran et les Hadiths
comme faisait leur père. Elles haranguaient les combattants
pour mener le Djihad contre les Portugais. Les trois filles seraient
tombées l'une après l'autre au champ d'honneur.
Le tombeau de Lalla Yamena se trouvait
au centre d'une chambre rectangulaire, doté de trois niches
où étaient allumées les bougies offertes
par les visiteurs. Dans la chambre voisine se trouvait le
tombeau de Sidi M'hand dont la tradition orale n'a conservé
que le nom. Ces deux chambres s'ouvraient sur une cour dotée
d'une citerne. Autour de cette cour étaient aménagées
des chambres pour les visiteurs.
Le tombeau de Lalla Yamena était essentiellement visité
par des femmes venant chercher la baraka de la sainte pour trouver
le repos de l'âme ou lutter contre la stérilité
ou la maladie. Des couples venaient se promettre un amour éternel
devant la sainte. Le rite consistait à faire trois fois
le tour de la tombe en embrassant les quatre coins du catafalque.
Après la prière, la visiteuse déposait son
offrande dans le coffre des dons et allumait des bougies. Les
femmes qui désiraient avoir un enfant devaient déposer
leur ceinture dans le coffre et la reprendre le lendemain matin.
Son sanctuaire aurait été reconstruit par un
fidèle après 1977 sans que l'on sache s'il
fut reconstruit exactement au même emplacement.
Le moussem de Lalla Yamna N'Brahim se déroulait lors de la fête de l'Achoura
(le 10ème jour du mois de Mouharram, l'Achoura au Maroc
représente la fête de la Jeunesse et de la Famille).
Des femmes de tous âges se rendaient
à son mausolée. Elles venaient des environs et
quartiers d'Agadir (Inezgane, Aourir, Mesguina, Talborjt, Yachech
et Founti).
Les femmes de Talborjt (entre 60 et 100) s'y rendaient à
pieds ; toutes superbement habillées, maquillées
de khoul, henné et souak.
Elles portaient des offrandes à la vénérée
: sucre, thé, dattes, henné, amandes, miel, pains
de maison, ufs et bougies. Elles portaient sur la tête
les plateaux faits de palmes et de joncs.
Elles escaladaient la montagne abrupte en
chantant et en utilisant les instruments usuels : Taarej (Igbaln
en tachelhit) (sorte de djembé des Roudanis et Houara
en terre cuite tendu d'une peau de chèvre), plateaux de
cuivre et tiges de brochettes. Les youyous se répandaient
dans la montagne.
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Elles chantaient les louanges de la sainte
et vénérée Lalla Yamna :
Ighilla
ou jarif iderken imenâ ougharass |
S'il
y a des grands récifs, le chemin est impossible |
Ilane
aït el âqel bermenk a yagharass |
Il
y a des compétents pour contourner le chemin |
Wana
irane a dizour akourihomogharass |
Celui
qui veut faire un pèlerinage exclut la difficulté
du chemin |
Lalla
Yamna nbrabim ghouflla nsour |
Lalla
Yamna N'Brahim au-dessus des murailles |
Afflellanek
a yagadir aghilla nour |
Dans
ta forteresse oh Agadir se trouve la lumière |
Lane
laouliya nerbi iline salihine |
Il
y a les bénits de Dieu et les bons sages |
Les groupes étaient accueillis par
des youyous ; les femmes montaient sur les terrasses après
avoir salué la sainte; quelques hommes de service en bas
prenaient en charge l'abattoir et autres travaux ; les femmes
chantaient, préparaient le thé, les tagines et
le couscous.
Avant le coucher du soleil, la fête se terminait et les
groupes repartaient vers leurs quartiers après une dernière
visite au sanctuaire pour faire des vux et les adieux.
Certaines dormaient la nuit dans le sanctuaire dans l'espoir
de faire un rêve favorable et pour implorer la sainte d'intercéder
en leur faveur auprès de Dieu.
(Source : Enquête sur les marabouts
de la Casbah d'Agadir Oufella, Ministère des Affaires
culturelles et Délégation de la Wilaya d'Agadir,
juillet 1996 ; Souvenirs recueillis par Lahsen Roussafi et Mohamed
Andam pour les chants de femmes).
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