Marabouts de la Kasbah d'Agadir Ouflla

 

 
 

 
Un marabout est un saint musulman reconnu localement dont le tombeau fait l’objet d’un culte populaire. C’est aussi le nom donné au tombeau lui-même.

La légende rapporte que la Kasbah d'Agadir aurait abrité 160 saints, tous enterrés dans l'enceinte de la Kasbah.

L'étude des cartes de titres de propriétés datant de 1934 ne permet de localiser que quatre sanctuaires qui étaient ceux de :
  •  Sidi Boujm'a Agnaou (le sanctuaire de Sidi Boujm'a, siège du culte de la confrérie d'Ignaoune a été reconstruit juste après le séisme, au même emplacement selon les anciens),
  • Lalla Yamena (dont le mausolée aurait été reconstruit après 1977),
  • Lalla Fatima Ouembark et sa zaouya : seules quelques personnes très âgées se souviennent encore du nom de Lalla Fatma Ouembark
  • S'Moulay Ahmed dont le mausolée figure dans des cartes de titre mais la mémoire collective n'en a pas conservé de souvenirs.

 


Dans la mémoire collective, certains croient qu'un marabout juif aurait existé dans le quartier du Mellah.

 
 

 

 
 Lalla Fatima Oumbark

Une pièce rectangulaire avec une tombe au centre peinte à la chaux est visible parmi le champ de ruines de la Kasbah et attribuée à Lalla Fatima, fille de Sidi Embark. La tradition orale n'a conservé aucune trace d'un sanctuaire de Sidi Embark, saint très vénéré surtout à Inezgane.

 
 

 
Sidi Boujm'a Agnaou

Le nom du saint Sidi Boujm'a Agnaou (agourram) qui fut le saint des Noirs (Agourram n'Ismmgane), actuellement saint des Gnawas (Ignaoun) reste très lié dans l'esprit des gadiris à celui de la Kasbah d'Agadir Ouflla.
Selon la légende, il s'agirait d'un Noir ramené du Soudan par le sultan noir (Al-Sultan Al-Akhal). Il habita la Kasbah, travaillant comme cordonnier. Quand des ennemis essayèrent de le capturer, il se réfugia dans une citerne qui deviendra son sanctuaire.
La tradition orale rapporte que les Noirs (Ismmgane) organisaient au mois de Chaâbane un grand moussem. La vache prévue pour le sacrifice faisait le tour des villages, guidée par des esclaves qui annonçaient la date du moussem et collectaient les aumônes. Ils célébraient aux rythmes des tambours et des crotales, des rites dans lesquels se mêlaient invocations, danses et transes. Une veillée des Gnawas se déroulait tous les samedis appelée localement "Id" ou "Allailat" au cours de laquelle se pratiquaient des danses et transes exorcisantes.

De nos jours, le rite se perpétue dans la nouvelle Cité Yachech ; la fête dure une semaine au niveau du Bloc 5. Le porte-à-porte se perpétue avec chants, tambours et crotales annonçant la fête.


Le sanctuaire de Sidi Boujm'a fut complètement détruit au cours du séisme de 1960. Le pacha d'Agadir l'aurait fait reconstruire juste après le séisme à l'endroit précis où il se trouvait auparavant.

Ce sanctuaire reconstruit se présente ainsi : le visiteur entre par une porte qui donne accès à une cour autour de laquelle ont été aménagées des chambres destinées à abriter les visiteurs qui viennent de loin pour se recueillir.

 Après l'entrée se trouve sur la gauche, la chambre tombale du saint avec au centre le tombeau ; la fenêtre qui donnait sur la cour, servait à des pratiques rituelles ; à gauche du sanctuaire et à l'extérieur, un abattoir était destiné aux sacrifices. Il semblerait que les annexes n'existent plus et que seules restent la chambre tombale et celles des visiteurs. 

Le sanctuaire de Sidi Boujem'a est visité par toutes les personnes qui croient en ses karmates, encore très visité actuellement par les femmes stériles selon un rite précis.

La femme présente une offrande au saint et se purifie avec l'eau de la citerne d'à côté, symbole de fertilité. Si son souhait est exhaussé, elle rasera les cheveux de son enfant dans le sanctuaire, lui perforera le lobe de l'oreille droite. Elle devra ensuite présenter un sacrifice chaque année. L'enfant devenu adulte devra en faire autant ainsi que ses descendants.


Sidi Boujm'a est également visité pour exorciser les malades mentaux de l'emprise des djnouns.

Le sanctuaire de Sidi Boujm'a est le siège du culte des Ignaoun. Des musiciens et danseurs gnawas se produisent à travers le monde, portant le nom d'Agadir Gnaoua Oulad Sidi Boujmâa El Gnaoui.

 
 

 
Lalla Yamena N'Brahim

Le moqaddem de Lalla Yamena raconte qu'en 1977 quand il s'occupait du sanctuaire de Sidi Boujm'a, il vit, la nuit alors qu'il cherchait du bois mort, deux lumières. En soulevant les décombres, il découvrit une tombe bâtie qui serait la tombe de Lalla Yamena proche de celle de Sidi M'hand.

Selon la légende, Lalla Yamena aurait été la servante et la bergère d'une famille qui la traitait durement, lui faisant garder les troupeaux le jour, et moudre les grains la nuit. Alors qu'une nuit, le maître se réveilla pour surveiller le travail de sa servante, il surprit la jeune fille endormie près de la meule qui tournait toute seule. Il la considéra alors comme une sainte.
Selon une tradition orale, Lalla Yamena serait la fille du savant Sidi Brahim Ou Ali N'Tghalimine des Ida Ou Tanane.
Le père de la sainte, le saint Sidi Brahim Ou Ali N'Tghanimine, enterré à Ida Ou Tanane, est très vénéré par ces tribus. Il fut l'un des plus grands savants du Sud marocain au Xème siècle de l'Hégire. C'était un homme pieux, juste et craignant Dieu, qui enseigna le Coran, les Hadiths du Prophète. Au temps des Portugais, il aurait pris la décision de faire partir trois de ses filles (dont l'aînée était Yamena) à la Kasbah d'Agadir Ouffla pour éviter qu'elles ne soient violées par des infidèles. Il les équipa en mulets et nourritures. Les habitants de la Kasbah les accueillirent à bras ouverts et avec des youyous. Elles prêchèrent l'amour de Dieu, enseignèrent le Coran et les Hadiths comme faisait leur père. Elles haranguaient les combattants pour mener le Djihad contre les Portugais. Les trois filles seraient tombées l'une après l'autre au champ d'honneur.

Le tombeau de Lalla Yamena se trouvait au centre d'une chambre rectangulaire, doté de trois niches où étaient allumées les bougies offertes par les visiteurs. Dans la chambre voisine se trouvait le tombeau de Sidi M'hand dont la tradition orale n'a conservé que le nom. Ces deux chambres s'ouvraient sur une cour dotée d'une citerne. Autour de cette cour étaient aménagées des chambres pour les visiteurs.


Le tombeau de Lalla Yamena était essentiellement visité par des femmes venant chercher la baraka de la sainte pour trouver le repos de l'âme ou lutter contre la stérilité ou la maladie. Des couples venaient se promettre un amour éternel devant la sainte. Le rite consistait à faire trois fois le tour de la tombe en embrassant les quatre coins du catafalque. Après la prière, la visiteuse déposait son offrande dans le coffre des dons et allumait des bougies. Les femmes qui désiraient avoir un enfant devaient déposer leur ceinture dans le coffre et la reprendre le lendemain matin.

Son sanctuaire aurait été reconstruit par un fidèle après 1977 sans que l'on sache s'il fut reconstruit exactement au même emplacement.

Le moussem de Lalla Yamna N'Brahim se déroulait lors de la fête de l'Achoura (le 10ème jour du mois de Mouharram, l'Achoura au Maroc représente la fête de la Jeunesse et de la Famille).  

Des femmes de tous âges se rendaient à son mausolée. Elles venaient des environs et quartiers d'Agadir (Inezgane, Aourir, Mesguina, Talborjt, Yachech et Founti).


Les femmes de Talborjt (entre 60 et 100) s'y rendaient à pieds ; toutes superbement habillées, maquillées de khoul, henné et souak.


Elles portaient des offrandes à la vénérée : sucre, thé, dattes, henné, amandes, miel, pains de maison, œufs et bougies. Elles portaient sur la tête les plateaux faits de palmes et de joncs.

Elles escaladaient la montagne abrupte en chantant et en utilisant les instruments usuels : Taarej (Igbaln en tachelhit) (sorte de djembé des Roudanis et Houara en terre cuite tendu d'une peau de chèvre), plateaux de cuivre et tiges de brochettes. Les youyous se répandaient dans la montagne.

 

Elles chantaient les louanges de la sainte et vénérée Lalla Yamna :

 Ighilla ou jarif iderken imenâ ougharass  S'il y a des grands récifs, le chemin est impossible
 Ilane aït el âqel bermenk a yagharass  Il y a des compétents pour contourner le chemin
 Wana irane a dizour akourihomogharass  Celui qui veut faire un pèlerinage exclut la difficulté du chemin
 Lalla Yamna nbrabim ghouflla nsour  Lalla Yamna N'Brahim au-dessus des murailles
 Afflellanek a yagadir aghilla nour  Dans ta forteresse oh Agadir se trouve la lumière
 Lane laouliya nerbi iline salihine  Il y a les bénits de Dieu et les bons sages

Les groupes étaient accueillis par des youyous ; les femmes montaient sur les terrasses après avoir salué la sainte; quelques hommes de service en bas prenaient en charge l'abattoir et autres travaux ; les femmes chantaient, préparaient le thé, les tagines et le couscous.
Avant le coucher du soleil, la fête se terminait et les groupes repartaient vers leurs quartiers après une dernière visite au sanctuaire pour faire des vœux et les adieux.
Certaines dormaient la nuit dans le sanctuaire dans l'espoir de faire un rêve favorable et pour implorer la sainte d'intercéder en leur faveur auprès de Dieu.
 

 
 

(Source : Enquête sur les marabouts de la Casbah d'Agadir Oufella, Ministère des Affaires culturelles et Délégation de la Wilaya d'Agadir, juillet 1996 ; Souvenirs recueillis par Lahsen Roussafi et Mohamed Andam pour les chants de femmes).