1921 Founti - Jean Raymond


En 1921, selon l'ingénieur civil Jean Raymond :
"Le village actuel de Founti, situé sur le bord de la mer, est bâti en partie sur l'emplacement de l'ancienne Santa-Cruz ; on voit encore entre le marabout de Sidi Bou-Knadel et la place de la Fontaine, des vestiges du rempart qui devait entourer la ville ; la facture de la maçonnerie est nettement européenne (p. 322) [ …] ;

On distingue à Founti deux quartiers séparés par une légère dépression : à l'est le quartier d'Agouram ou du marabout ; à l'ouest le quartier de Founti dont le nom vient probablement du portugais "Fonté" (fontaine).
C'est sur l'emplacement de ce dernier quartier que se trouvait Santa-Cruz ; c'est précisément dans la dépression limite des deux quartiers que l'on rencontre les vestiges de l'ancien rempart dont il est parlé plus haut.

Founti est desservi par une longue rue en balcon au bord de la mer ;

  • Le quartier Est [appelé Quartier de l'Agouram Sidi Bou Knadel ] comprend au centre une placette en terrasse, surplombant la rue principale ; sur cette placette se tiennent ordinairement les acrobates du Sous, les chanteurs, les montreurs de singes savants et les charmeurs de serpents (spécialité du Sous). Chaque soir les indigènes s'accroupissent tout autour des artistes et mélangeant les prières aux chants, ils passent ainsi de longues heures.

    À droite et à gauche de la placette, se trouvent les rares magasins indigènes de Founti où l'on vend du sucre, du thé, des bougies, du tabac et quelques étoffes ; sur les degrés donnant accès à la placette se tiennent quelques marchands vendant du pain noir, de l'orge et des morceaux de poissons cuits à l'huile d'argan qui dégagent une odeur peu appétissante.

    Au fond de la placette et accroché à la colline, se trouve le marabout de Sidi-Bou-Knadel, sans lignes bien définies, mais plaisant et d'un intérêt pittoresque incontestable. Ce marabout détache sa masse blanche sur le fond gris vert de la colline et l'ensemble est couronné par les murs crénelés de la kasbah. Ce site est à peu près le seul intéressant de Founti. Une demande en vue de le classer a été adressée au Service des Beaux-Arts.


    Plus à l'est, sur la rue principale, on rencontre quelques bâtiments récents : d'abord la demeure du Khalifa du Pacha de la région, puis le Service de Renseignements, et le Service des Eaux et Forêts dont la maison sans prétention est accolée à la falaise qui a été entaillée à cet effet ; un peu plus loin et au bord d'un ravin sont installés les bâtiments des Subsistances militaires et enfin à quelques centaines de mètres de là se trouve le douar réservé, vaste enceinte basse contenant une série de niches immondes où une cinquantaine de filles se livrent à la prostitution.

 

  • Le quartier Ouest [appelé Founti par les Anciens - note MFD] paraît encore plus pauvre que l'autre ; dans la dépression limite des deux quartiers vit, dans des cagnas en roseaux et dans la plus atroce promiscuité, tout un peuple de malheureux ne pouvant se loger ailleurs. Au milieu de ces cagnas, les hommes raccommodent les filets de pêche et les babouches ; les femmes vendent des charges d'herbe fraiche et de bois mort.
    Au centre du quartier se trouve la place de la Fontaine, emplacement de construction récente où les caravanes s'arrêtent. Cette place est entourée de constructions basses ; à un bout se trouve le puits qui sert à l'alimentation en eau potable d'une grande partie de la ville ; un abreuvoir permet aux animaux de se désaltérer ; un palmier se dresse sur la source même et dans un coin une bien inélégante éolienne rouge tourne sous l'influence du vent qui souffle sans cesse. Cette place est l'endroit le plus vivant de tout le village.

Les femmes indigènes munies du koumkoum, sorte de jarre en terre cuite qu'elles portent sur le dos, retenu par une corde passée sur le front, se succèdent sans cesse au puits ; on fait la queue tout comme à Casablanca pour avoir sa ration d'eau et cette attente sous le soleil et le vent finit par énerver même les indigènes.

À l'ouest de la place de la Fontaine se trouve la villa du commandant du Cercle d'Agadir : construction récente et confortable.

La population de Founti paraît misérable, elle est composée en majorité de pêcheurs : le poisson constitue l'aliment principal des habitants de Founti.

La rue de Founti continue vers l'ouest à flanc de coteau ; elle passe au-dessous d'un camp [Camp D qui sera Camp Alibert] et arrive au port.
Le port est constitué par une jetée orientée N-S de 170 mètres de long ; un quai de débarquement, sensiblement normal à la jetée et au sud, qui est muni d'une grue à vapeur.
Cet embryon de port a été conçu et exécuté pendant la guerre ; il a rendu à cette époque de grands services en protégeant des vents du large les sous-marins et les patrouilleurs français qui opéraient dans ces parages.

Il existe à Founti, tout au bord de la mer, une source assez importante qui fournit en grande partie l'eau potable de la population d'Agadir.
On rencontre plusieurs puits sur la plage même, au débouché des oueds secs. Les courants souterrains qui circulent dans les thalwegs des oueds, se trouvent à une profondeur de 3 à 5 mètres ; la couche imperméable amène les eaux souterraines à la mer à cette profondeur régulière. C'est ainsi que des masses d'eau potable se trouvent au bord de la mer où l'on vient laver son linge " (Jean Raymond, Dans le Souss mystérieux, Agadir, Revue La Géographie, N°3, Tome XXXIX, mars 1923, pp. 324 335).

En 1921, la région n'est pas encore ouverte au commerce, l'élément européen n'est constitué que des militaires de la garnison et de quelques fonctionnaires. Il y a en tout 130 Européens presque tous français, y compris les familles des officiers et des sous officiers ; la population "indigène" est d'environ 1600 personnes tant à la Kasbah qu'à Founti ; dans ces chiffres ne sont pas compris les militaires français et indigènes.

En 1921, il n'y a ni hôtel ni restaurant - tout est à créer ; il existe une coopérative militaire bien achalandée où les Européens civils peuvent se servir.

Deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, un marché se tient à la sortie Est de Founti ; on y trouve de la viande (mouton, bœuf), des poulets, des lièvres, des œufs, du beurre, du poisson, du pain, des légumes en petite quantité (petits pois verts), des fruits (oranges), de l'huile d'argan, de l'orge, du sucre, du charbon de bois, de la laine brute.

Les transports se font à dos d'animaux : un chameau avec son chamelier se loue 7 francs par jour ; un mulet avec son conducteur, 7 fr. 50 ; un cheval avec selle, 8 fr. ; un âne et son ânier, 5 fr.
Un domestique nourri est payé 40 à 60 fr. Des manœuvres sont payés 2 fr 50 à 3 fr 50 par jour ; des maçons ayant déjà travaillé dans les chantiers européens 9 à 10 fr par jour, des charpentiers 10 fr.

Les matériaux de construction sont à bas prix (un excellent calcaire facile à travailler, du sable et gravier dans tous les lits desséchés des oueds, de la chaux grasse, du carbonate de chaux et de l'arganier pour le bois de chauffe et du gypse dans la montagne facilement exploitable). Il manque de l'argile et du bois de construction.
L'Administration des Travaux Publics recrute depuis quelques mois pour ses grands chantiers du Nord, de la main d'œuvre indigène dans le Sous.
En 1921, il n'y a encore aucune industrie à Agadir (Jean RAYMOND- Dans le Sous mystérieux : Agadir, Revue La Géographie, N°3, Tome XXXIX, mars 1923).