Pêche avant la construction du port

 

Les petits ports ou criques abritées des vents dominants du N-O portaient le nom de Lmersa (pl. Lemrasi) et le plus important dans le Souss était celui d'Agadir occupé par les Aït Founti (Laoust, Pêcheurs berbères du Souss, p. 243-244, p. 319, 1923).

Les marins pêcheurs autochtones utilisaient des pirogues (agherrabo, igherrouba), montées par 7 ou 8 marins qui ramaient jusqu'à l'endroit de pêche sous la conduite du raïss, le capitaine, désigné par les pêcheurs parmi les marins éprouvés, et sanctionné par un acte d'adoul authentifié par le Cadi ; ils se désignaient comme étant les Aït Agharrabo.

La pirogue d'environ 8 m de long et 1,60 de large, étroite et profonde, était munie d'un gouvernail, d'une quille, relevée en pointe à l'avant et à l'arrière, relativement souple, se prêtant bien à l'accostage des plages parmi les rouleaux ; La coque extérieure était noire couverte d'une épaisse couche de goudron d'arar calfeutrant tous les joints, assurant l'étanchéité. La partie supérieure de la pirogue était ornée d'une frise blanche, formée de spirales entrelacées évoquant la houle de l'océan.
L'embarcation possédait 3 bancs : chaque banc recevait 2 rameurs ; un 4ème banc sur l'extrême avant recevait le pilote ou brigadier chargé de découvrir le frétillement des bandes de tassergalt. En navigation normale, le raïss se trouvait assis dans la chambre arrière, adossé au tableau arrière, tenant à la main la barre du gouvernail (mlouïa) ; les avirons (tiguela) étaient fabriqués en bois d'arar fixés aux tolets (tigoussin) par des erseaux en peau de bœuf (issioual), s'appuyant sur l'auterelle (tiferdious) fixée sur le plat bord (tama).
La quille et l'étrave étaient faites de morceaux de bois d'arganier assemblés solidement. Les membrures (aghesdiss) étaient en tamarin ; le bordé, en bois de sapin importé de Mogador, était le seul élément étranger entrant dans la fabrication.
La mise à l'eau ou la rentrée des pirogues se faisait en plaçant sous les fausses quilles des pièces de bois arrondies (issouran) (R. Montagne, ibidem).
Les grandes pirogues embarquaient quatre rameurs en plus du raïss, les petites deux seulement.

 

 
 


La pêche se pratiquait le long de la côte et à l'embouchure du Souss. Elle était rendue difficile par la barre. De gros rouleaux de vagues se brisaient fréquemment, dangereux avec la houle et il n'était pas rare de voir chavirer les embarcations à l'arrivée (Boniface, p. 33).
Les pêcheurs ancraient leur bateau en mouillant une grosse pierre, amorçaient leurs lignes avec des débris de poissons ou de poulpes. Ils pêchaient à la ligne tenue à la main ou attachées au pied (kheit) ou à la ligne trainante avec des appâts en lanière d'étoffe blanche, ou à la palangre, ligne longue de 100 m. portant des hameçons attachés à 0, 50 m. de distance, ou à l'épervier européen, ou à la senne à poche, le tout avec une grande habileté.

 
 
 
 

La saison la plus favorable commençait au printemps pour finir en automne à l'époque des grandes marées. C'est elle qui amenait près des côtes les bancs de poisson en abondance au point que les embarcations rentraient parfois emplies jusqu'aux bords.
Au retour de la pêche, les barques étaient halées à la force de bras, glissées sur des rondins de bois (issouran) en haut de la plage, dans les criques du rivage, et restaient sur le sable jusqu'au départ prochain, sous la lointaine surveillance de leurs possesseurs.
Les poissons ramenés de la pêche étaient étalés sur la plage et vendus à la criée séance tenante, à des prix très bas parce que les amateurs étaient presque tous des autochtones.

 

 
 
 

Parmi les gros poissons recherchés : la bonite, l'ombrine, la daurade, la tassergalt sans oublier les petites espèces savoureuses : soles, rougets, mulets, sardines ; les crustacés, homards, langoustes, crevettes à l'embouchure de l'oued Tamraght. Les moules peuplaient tous les rochers du rivage. À marée basse, femmes et hommes étaient occupés à les cueillir. Ils les faisaient cuire en tas sur un feu de broussailles. On retirait la chair qui se vendait sur les souks comme celui de Khemis de Tamraght.
Le poisson était livré à la consommation frais ou séché et sous cette forme séchée était expédié jusqu'aux souks de l'Anti-Atlas.
Des fours rustiques, construits en pierres sèches, étaient chauffés au bois sec ; le poisson était placé sur une couche de cendre qui le séparait de la braise ; on retirait le poisson cuit, très apprécié, d'autant que la viande n'était pas abondante.
Le séchage était obtenu par exposition au soleil ou au moyen de fours.
Dans le 1er cas, après avoir enlevé la tête et les entrailles du poisson, on l'ouvrait en pratiquant sur le dos une fente longitudinale. La chair entaillée et salée était ensuite suspendue pour être soumise à l'action du soleil pendant 5 à 6 jours.
Le procédé était plus rapide au moyen des fours où l'on entassait le poisson, préalablement coupé en morceaux sur un feu de branchages. Douze heures après, la cuisson était terminée. La chair détachée des arêtes était salée et finissait de sécher au soleil.
Cette opération était effectuée au bord même de l'Océan à l'endroit appelé Negher El-Hout (lieu où l'on étend le poisson) qui comptait une quarantaine de fours, démolis depuis l'ouverture du boulevard du Capitaine Alibert. Ils furent reconstruits au Sud de Founti à proximité de Talborjt (Boniface, 1927, pp 33-35)

On pêchait le corail, il n'y a pas encore bien longtemps près d'Aglou et ces pierres servaient aux artisans pour enrichir les bijoux qu'ils fabriquaient mais la pêche cessa parce que le corail était maintenant importé dans le pays par des maisons de commerce étrangères (P. Zeys, 1932, Richesses d'Agadir pp. 264-266).
Les pêcheurs étaient alternativement pêcheurs et ouvriers agricoles ou employés aux travaux publics ou à l'aconage. Le chargement et le déchargement de vapeurs qui ne pouvaient accoster, s'opéraient par leurs soins à l'aide de barcasses.

Les meilleurs charpentiers de pirogues et de barcasses de déchargement des navires étaient originaires du Souss tels M'Barek Ou Fars et son frère. Les pirogues et barcasses étaient construites à Agadir quand les ports étaient sous l'autorité du Makhzen (R. Montagne, Hespéris, p. 193, Les marins indigènes, 1923). Toutes les embarcations berbères de la région furent construites par un unique charpentier des Aït Tameur, le maâlem Ahmed Ou Bihi El Aferni, dont le père était lui-même un charpentier réputé à Aït Tameur où se fournissaient les Aït Founti ; il construisait en un mois une embarcation qui coûtait 1000 francs dans les années 20.
Le port d'Agadir (Founti) fermé au commerce jusqu'en 1930, avait dans les années 20 ses charpentiers autochtones qui construisaient des barcasses. Le vieux raïss du port, Lhassen Ben Ali Aboudrar, appartenait à une famille ancienne de raïss. Lui et son fils, le khalifa Mohamed, furent d'excellents marins et participèrent à de nombreux sauvetages. Trente six hommes servaient sous leurs ordres lorsque les services de l'aconage du port l'exigeaient. En temps habituel tout le monde se livrait à la pêche.

En 1927, la corporation des marins de Founti comprenait une quarantaine de membres. Ils avaient été plus nombreux mais beaucoup avaient émigré pour aller exercer dans d'autres ports où la vie était plus facile.
La corporation avait pour amine le Raïss Lahcen El Gadiri. Ses moyens lui permettait de mettre en service neuf embarcations : quatre grandes embarcations à quatre paires de rames et cinq petites à deux paires de rames.

 

Parmi les familles suivantes de pêcheurs de Founti possédaient des Iggherrouba :
- Famille Aït Ouâbaïd : Raïss Mohamed, Raïss Lhoussine, Raïss Lahcen ;
- Famille Gouferni : Raïss Jamaa, Raïss Lazrak ;
- Famille Bougjja : Raïss Lahcen, Raïss Bouslam ;
Raïss Lyazid, Raïss Lahcen Ou Bouzid, Raïss Akhabbar Lhoussine étaient propriétaires de plusieurs bateaux (source : Mémoires d'Agadir I, p. 110)

Les pêcheurs étaient organisés en corporations placées sous le patronage des saints locaux comme Sidi Boulknadel et Sidi Abdallah Ou El Haj.
Chaque année en mai, les pêcheurs offraient un repas sacrificiel (mârouf) à Sidi Boulknadel protecteur des marins, des terriens et des femmes en perdition.