Le quotidien d'un radio volant - JC Laffrat
B.A.N. Agadir (fin 1949 - juin 1951)

 

 

 
Désigné pour la B.A.N. d'Agadir, je rejoins le clan des radios volants de la base, et pas l'une des deux formations, pourquoi cette affectation ? Je ne tarde pas à en avoir l'explication. Le patron des radios volants de la base est alors le MP Mallégol, surnommé "l'Amiral", un vétéran certifié à Hourtin en 1931 ; il est secondé par le PM Gode et le SM Dejean, deux anciens de la flottille 2FB Wellington, formés à la Radio School de Madley au Royaume Uni, le maitre Bernard Ternisien, engagé depuis 1944 comme moi, complète l'équipe.
Mon travail va consister à l'entretien et au dépannage des ensembles VHF SCR 522 montés sur les MB 175.
 
C'est une confidence du MP Mallégol qui me donne la raison de mon affectation, il m'apprend que le grand manitou des radios volants est à l'époque l'OE2 Kléber Leymerigie, un vétéran de sa génération, certifié à Hourtin en 1929. Affecté au S.A.M.A.N. de Toussus-le-Noble, l'OE2 Leymerigie est très influent grâce à ses relations avec le bureau des désignations ; il choisit par avance les radios volants selon les besoins des formations, mais aussi et surtout en fonction de leurs compétences connues, critères qui ne font pas toujours l'affaire des intéressés. Et c'est au vu de mon activité dans le dépannage en Indochine, que je me retrouve désigné pour l'atelier radio de la B.A.N et non pour une formation.

 

A l'époque, sur les B.A.N. qui abritent plusieurs formations, c'est une équipe de radios volants dépendant des services techniques de la base qui s'occupe de l'entretien et du dépannage des matériels de bord des avions, et non les radios des formations.

Avec ces derniers, nous assurons néanmoins la veille graphie à tour de rôle sur la fréquence marine de C.O.M.A.R. Casablanca. Elle est peu contraignante, et a lieu uniquement lors des vols de liaison vers les autres bases, et lors des vols de recherche S.A.M.A.R. effectuées par les Catalina de la 22.S.
Cette veille en graphie, se fait dans un petit PC radio, situé dans le bâtiment des flottilles près de l'extrémité Est de la piste.
Le matériel de réception se compose de deux récepteurs de trafic RU-93 et RU-95, et pour l'émission, de deux ensembles GO-9 de Catalina de 200 watts, montés à poste fixe et commandés à distance par ligne filaire. Ils sont situés dans le bâtiment des émetteurs, dans un local contigu à l'atelier radio.
 

 En 1950, il n'y a pas encore de G.C.A. ni d'I.L.S. sur le terrain d'Agadir, et les pilotes effectuent leur percée et leur approche par variation de QDM envoyé par un operateur radio au sol. En fin de journée, après les derniers vols, le personnel de contrôle quitte la tour de contrôle, sauf les jours d'arrivée du DC-3 d'Air Atlas en provenance de Casablanca qui se pose vers 21 h 00.

Le matériel radio de la tour de contrôle, date en partie de la période américaine et se résume alors à un simple poste VHF de bord à quatre fréquences, et pour la phonie à plus longue distance sur la fréquence HF de 6440 KHz, d'un émetteur Collins Radio et d'un récepteur BC-348 de C-47.

Au début de l'année 1950, le personnel de service à la tour, continue d'être assuré par un civil du Contrôle Régional, en alternance avec un contrôleur Air, tous deux restés en poste pour initier les marins de la B.A.N à ces nouvelles tâches. La spécialité de Contrôleur aérien n'étant pas encore créée, des QM ou des matelots assurent le service sous la houlette d'Officiers mariniers volants disponibles. Les infrastructures radio du terrain d'Agadir de l'époque sont donc très sommaires, mais suffisantes pour permettre aux MB 175 de la 6.F et aux Catalina de la 22.S d'effectuer leurs missions.

Une nouvelle tour de contrôle, est alors en cours de construction au-dessus du bâtiment de commandement de la base.
Elle est mise en service en avril 1950, et comme les matériels prévus en dotation ne sont pas encore livrés, la liaison tour-PC/Ops par interphone n'est pas installée. Le commandement fait alors appel aux radios volants de la B.A.N. pour réaliser une liaison provisoire.
 
Avec mon camarade Bernard Ternisien, qui en fait le schéma, nous utilisons le câblage d'un téléphone de bord de récupération de PV-1 Ventura, des clés téléphoniques provenant du standard de la base, et de petits haut-parleurs réversibles en micro, achetés dans le commerce local et montés dans de petits caissons en contreplaqué.
 

 Cette installation simple est rapidement fonctionnelle et donne aussitôt satisfaction. Ce qui fait monter les auteurs de cette réalisation dans l'estime du commandement. A partir de cette opération réussie, au lieu d'effectuer la veille radio avec les autres volants des escadrilles, je fais mon tour de service au PC/Ops ;  ainsi que le SM Dejean. Bernard Ternisien, quitte Agadir pour suivre son cours de Breveté Supérieur. Il fera par la suite une belle carrière, et deviendra officier des Equipages, c'est lui qui participera en 1961, à la fermeture de la B.A.N Agadir ; il sera le dernier officier à la quitter après sa cession aux Marocains.


Mon activité sur les VHF des MB 175, installés sous la verrière, juste derrière la tête du pilote, consiste à les maintenir en état de fonctionnement opérationnel. Ils nécessitent d'être fréquemment démontés, car ils se dérèglent à cause des vibrations. Toute nouvelle reprise des réglages nécessite leur envoi à l'atelier, ce qui me fait partager le travail des équipes de piste, et agrémente mes journées, par une activité en plein air.

Des vols d'essai et de rodage à la 6.F viennent aussi rompre mes activités de dépannage et j'en suis satisfait. La découverte en vol du Bloch 175 est une révélation pour moi qui ne connait jusqu'alors que le Catalina, le Sea-Otter et le Loire 130.

Je découvre avec intérêt ce qu'est un bimoteur terrestre rapide et maniable, avec ses qualités et ses défauts, il vole bien mieux quand les moteurs Gnome et Rhône ne sont pas en panne, et que le circuit hydraulique fonctionne, car en cas de panne c'est le radio qui doit remettre de la pression dans le circuit en manœuvrant le levier d'une pompe à main ! A cette époque les équipements radar A.S.V. d'origine britannique ne sont pas encore montés sur la plupart des avions faute de disponibilité.

Et de ce fait, la lutte A.S.M. normalement vocation initiale de la flottille, n'est pas encore au programme, les missions quotidiennes consistent principalement en des vols d'entraînement en section, à l'attaque au sol et au tir canon et roquettes.  J'en fais quelques-unes, ces évolutions aériennes, nouvelles pour moi, constituent une découverte en matière de sensations physiques, sur le MB 175 le radio occupe le poste arrière, tourné vers l'empennage à deux dérives, il dispose d'un champ de vision central qui embrasse tout le paysage. Et selon les évolutions parfois la terre défile au-dessous et parfois le ciel, car le MB 175 vole très bien sur le dos. Les pilotes prenant un malin plaisir à tirer tout ce qu'ils peuvent de la manœuvrabilité de l'appareil. De quoi mettre l'estomac à rude épreuve et souvent au bord des lèvres,



 Au mois d'août 1950, l'escadrille 55.S/ESM (École de Spécialisation sur Multimoteurs) arrive de Port Lyautey, où elle a laissé sa place à la flottille 2.F. L'arrivée des Vickers-Armstrong Wellington et des Caudron Goéland de cette escadrille, change la nature des travaux à l'atelier radio, les ensembles TR.1155 et R.1154 Marconi s'ajoutent aux SARAM 3.11 et aux matériels de bord des Catalina. Pour les VHF dont j'ai la responsabilité, je dois faire face à une charge de travail importante avec les VHF TR.1143 vétustes d'origine britannique qui datent de la 2ème G.M. et équipent les Wellington. Le dépannage se fait avec l'aide de quelques manuels britanniques disponibles, jusqu'à l'arrivée du banc d'essais VHF en provenance de Port-Lyautey.

Jusqu'à l'automne 1950, je continue à voler à la 6.F, en alternance avec le dépannage. Je garde d'excellents souvenirs des vols d'essais et de rodage que nous accomplissons dans Sud marocain, entre Foum-El- Hassane, Ouarzazate et l'Oued Dra, très souvent à basse altitude pour regagner la base, le temps pour moi tourné vers l'arrière, d'admirer les magnifiques paysages qui défilent, faits de sable doré parsemé de villages construits en terre ocre rouge, encadrés de palmiers.

 C'est seulement en novembre 1950 que je commence à faire les vols d'essai et de rodage sur les Wellington et les Goéland de la 55.S, ainsi que progressivement des vols d'entraînement au pilotage, qui constituent la routine quotidienne de l'escadrille, exercices peu contraignants et même un peu trop répétitifs pour un radio volant.
Le 20 mars 1951, je grimpe pour un dernier vol de rodage d'une heure dans un MB175, juste avant le départ de la flottille 6.F pour la B.A.N Lartigue où elle doit être transformée sur avion Grumman TBM Avenger.
Le 8 avril suivant, c'est au tour de l'escadrille 22.S de rejoindre sa nouvelle base de rattachement, la B.A.N. Cuers Pierrefeu.
Le 1er avril 1951, je suis promu au grade de maître, et ce n'est pas un poisson d'avril, car le 16 juin 1951, je suis désigné pour la Base Transit de Casablanca dans le but d'y créer un magasin de pièces détachées radio radar destinées aux Avro Lancaster WU (Western Union) commandés en Angleterre. Une fois encore l'OE2 Leymerigie aura décidé non seulement de ma nouvelle affectation, mais aussi de mon destin.
Mon séjour à Casablanca sera en fait de longue durée et des plus agréables ; revenu à Agadir au mois d'août 1961 pour me marier, je ne quitterai le Maroc qu'à l'été 1955.