Une fois le site choisi pour la reconstruction d'Agadir, il
apparut "impossible de concevoir un plan logique, rationnel
et adapté au terrain, en tenant compte de la mosaïque
informe du parcellaire privé existant".
L'État prit alors une mesure radicale : Il procéda
à "l'expropriation générale des
terrains nécessaires à la reconstruction"
(Revue africaine d'architecture et d'urbanisme n°4 a+u, 5).
La reconstruction d'Agadir ne put s'effectuer, nous dit l'urbaniste
Mas (Service de L'Urbanisme et des Travaux Publics), que parce
que le problème foncier fut réglé de façon
globale (Mas, a+u n°4, note 3, p. 12).
La situation foncière antérieure au séisme
était assez complexe du fait de la juxtaposition de régimes
fonciers juridiquement disparates.
On distinguait, selon R. Janin, directeur des services administratifs
du HCRA :
- des titres fonciers reconnaissant un droit de zina
aux propriétaires d'immeubles de la Kasbah et pour partie
à Founti (propriétaires des constructions mais
non de la terre) ;
- des titres fonciers de pleine propriété
pour des terrains acquis par voie de lotissement pour les quartiers
de Talborjt, Plateau administratif, de la Ville nouvelle, des
zones industrielles Sud et d'Anza ;
- des terrains collectifs immatriculés ou en
voie de l'être ;
- des terrains du domaine public et privé municipal
;
- des terrains domaniaux affectés aux différentes
administrations publiques ;
- des terrains domaniaux loués pour résorber
des bidonvilles.
(Robert Janin, a+u n°4 1966).
Une nouvelle situation foncière était à
créer, en fonction du nouveau Plan d'aménagement
(qu'il s'agisse des propriétés privées ou
des propriétés de l'État et de la Municipalité).
La surface utilisable pour la reconstruction de la ville se trouvait
dans le cadre de l'ancien périmètre municipal,
sans le déborder, mais inférieure à celle
de l'ancien plan en raison de l'amputation des quartiers déclarés
inconstructibles : Founti, Talborjt, Kasbah, Yachech, Plateau
administratif représentant 250 ha.
Dans le cadre du nouveau plan, 750 ha demeuraient
constructibles sur les 1 100 ha du périmètre
municipal dont 500 étaient encore libres.
Grosso modo, l'État procéda à l'expropriation
générale des terrains nécessaires à
la reconstruction puis à leur redistribution
dans le cadre du nouveau plan (Péré, p. 60).
Les expropriations concernèrent
1.000 propriétés environ pour une superficie de
400 ha (CND, la reconstruction d'Agadir, p.100).
Reconstitution du
patrimoine foncier |
Les textes suivants furent adoptés en janvier 1961
:
Dahir n°
1-60-290 du 29 rejeb 1380 (17 janvier 1961) |
Définissant une zone considérée comme
dangereuse de la ville d'Agadir (figurant sur le plan n°
12719 annexé à ce dahir) à l'intérieur
de laquelle, pour des raisons de sécurité, les
immeubles bâtis ou non, sont frappés de certaines
servitudes ;
Considérant les études des géologues et
sismologues ayant permis de délimiter une zone considérée
comme dangereuse sur le plan de la sécurité, aucun
immeuble ne pouvait y être maintenu ou construit. Les immeubles
bâtis de cette zone, endommagés ou non par le séisme,
étaient soumis à démolition. Les propriétaires
de ces immeubles bénéficiaient pour reconstituer
leurs biens (ailleurs donc) du même concours financier
que celui accordé aux propriétaires des immeubles
totalement détruits par le séisme.
Dahir
n° 1-60-347 du 29 rejeb 1380 (17 janvier 1961) |
Fixant une procédure spéciale d'expropriation
pour les terrains nécessaires à la reconstruction
d'Agadir, considérant qu'il importe que l'État
puisse disposer dans les plus brefs délais des terrains
nécessaires au recasement des sinistrés de la ville
désireux de reconstruire leurs immeubles dans les secteurs
prévus à cet effet par le nouveau plan d'aménagement
(BO, p. 80) ; complété par des textes subséquents
déclara d'utilité publique l'expropriation
des terrains nécessaires à la reconstruction
de la ville d'Agadir (tels qu'ils étaient délimités
au plan n° 12 708). Les décrets qui suivirent, désignèrent
les propriétés tombant sous le coup de cette expropriation
et emportant, dès leur dépôt à la
Conservation Foncière d'Agadir, mutation de plein droit
au nom de l'État (pour le domaine privé).
Complétés par les textes suivants :
Dahir n°1-60-358
du 29 rejeb 1380 (17 janvier 1961) |
relatif aux conditions dans lesquelles seront secourues
les victimes du séisme d'Agadir (p 80-81) ;
Arrêté
du Haut-Commissaire à la reconstruction de la ville d'Agadir
n° 649-63 du 8 décembre 1962 |
fixant les conditions d'affectation et de cession des
lots de terrain en vue de la reconstruction d'Agadir (BO n°2621
du 18 janvier 1963) ;
clauses et conditions concernant l'affectation et
la cession à l'amiable des lots de terrain en vue de la
reconstruction d'Agadir (HCRA).
Ainsi furent décidés :
Tous les terrains, libres ou libérés après
le déblaiement, furent expropriés.
L'État prit possession des terrains sans avoir à
attendre les transferts des droits.
Les textes suivants déterminèrent tous les terrains
expropriés et leurs valeurs pour permettre ensuite la
redistribution par l'affectation des terrains dans le cadre du
nouveau plan de la ville :
Dahir n°
1-62-074 du 25 hija 1381 (30 mai 1962) |
modifiant le dahir n° 1-60-347 du 29 rejeb 1380
(17 janvier 1961) fixant une procédure spéciale
d'expropriation pour les terrains nécessaires à
la reconstruction de la ville d'Agadir ;
Dahir n°
1-62-053 du 25 hija 1381 (30 mai 1962) |
complétant le dahir n° 1-60-347 du 29 rejeb
1380 (17 janvier 1961) ;
Dahir n°
1-62-055 du 25 hija 1381 (30 mai 1962) |
fixant la valeur des terrains à exproprier
pour la reconstruction de la ville d'Agadir ;
Dahir
n° 2-62-418 du 25 rebia II 1382 (25 septembre 1962) |
désignant certaines propriétés
tombant sous le coup de l'expropriation prononcée par
le dahir n° 1-60-347 du 29 rejeb 1380 (17 janvier 1961)
fixant une procédure spéciale d'expropriation pour
les terrains nécessaires à la reconstruction de
la ville, fixant les indemnités afférentes aux
propriétés précisées dans un tableau
(pp 1439-1469 du BO n° 2608 du 19 octobre 1962) ;
Dahir n°
2-62-576 du 27 rejeb 1382 (24 décembre 1962) |
désignant certaines propriétés
sises à Agadir et tombant sous le coup de l'expropriation
prononcée par le dahir n° 1-60-347 du 29 rejeb
1380 (17 janvier 1961) fixant une procédure spéciale
d'expropriation pour les terrains nécessaires à
la reconstruction de la ville d'Agadir avec une liste des noms
et adresses des propriétaires présumés,
les superficies des terrains, le prix unitaire et le montant
global de l'indemnité BO n° 2620 (11 janvier 1963)
(pp 44-67)
Valeurs des terrains
Les indemnités allouées aux expropriés
furent fixées par dahir, en fonction de la valeur des
terrains à la veille du séisme.
Ces valeurs furent déterminées par voie d'expertise
(expertise réalisée le 26 aout 1961 par deux experts
agréés près les tribunaux en matières
immobilière dont l'architecte Lemarié et
M. Dedieu) après accord d'une commission administrative
présidée par un magistrat désigné
par le Ministère de la Justice et comportant en outre
: le gouverneur de la Province d'Agadir, l'inspecteur des Domaines,
le receveur de l'enregistrement d'Agadir, l'inspecteur des impôts
urbains d'Agadir).
102 îlots de terrains furent déterminés,
délimités sur le plan n° 12 708, en 6 feuilles,
avec la valeur correspondante au m2 à laquelle s'appliquait
un abattement de 50 % (part contributive des propriétaires
fonciers à l'effort de reconstruction).
Le montant des indemnités versées aux propriétaires
approcha 20 millions de DHs.
La mise en application de cette procédure conduisit à
exproprier un millier de propriétés privées
représentant une superficie globale de près de
400 hectares.
L'opération d'expropriation massive appliquée à
la zone urbaine entre l'oued Tildi et l'oued Lahouar concerna
plus de 800 ha dont 500 ha de surface utile et
permit de mobiliser au profit de la reconstruction, les 4/5èmes
de la surface utile (Janin, p. 19).
L'État prit immédiatement possession des terrains
et s'autorisa à en disposer sans attendre que le transfert
des droits se fut opéré à son profit.
Redistribution du
patrimoine foncier ainsi reconstitué |
Dans une seconde phase, l'État procéda à
la redistribution du patrimoine ainsi reconstitué
en fonction des besoins publics et privés liés
à la reconstruction et au développement futur de
la ville.
Il intervint par deux processus distincts selon qu'il
s'agissait des propriétés foncières de
l'État et de la Collectivité Publique Municipale
ou de la propriété foncière privée.
Sur le plan foncier, les lotissements furent régis
par :
l'arrêté
du HC n° 649-62 du 8 décembre 1962 |
(BO n° 2621 du 18 janvier 1963) fixant les conditions
d'affectation et de cession des lots de terrain aux particuliers
en vue de la reconstruction ou de la construction, modifié
et complété par :
l'arrêté
n° 238-64 du 30 Mars 1965 |
réglementant les conditions de cession et de location
emphytéotiques (d'une durée de 18 à 99 ans)
des lots de terrain du Secteur Touristique et Balnéaire.
Les textes réglementaires fixèrent :
Déroulement des opérations
L'affectation était la mise à la
disposition provisoire au profit de l'affectataire de lots de
terrain assortis d'un cahier des charges. Ce cahier des charges
très précis expliquait dans le détail, le
parcours du sinistré désirant reconstruire à
Agadir et ce à quoi il devait se conformer pour aboutir
dans des temps très précis à la réalisation
de ce projet.
L'affectation avait un caractère "essentiellement
précaire et révocable", ne conférant
à l'affectataire aucun droit (art1 du ch.I).
- La demande d'affectation
devait être adressée par lettre recommandée
au délégué du Haut-Commissaire et devait
comporter des renseignements sur la nature de l'immeuble en projet,
le mode précis du financement de la construction, la désignation
par ordre de préférence des lots de terrains, des
renseignements sur les anciens terrains expropriés ou
inconstructibles dont le demandeur était propriétaire
à la date du séisme.
- La commission spéciale
qui se prononçait sur l'affectation des terrains, était
composée du Haut-Commissaire (HC) président de
la commission d'affectation, du Gouverneur de la Province d'Agadir,
du Pacha de la ville d'Agadir, du représentant du Ministre
des Finances, de deux membres du Conseil communal, sinistrés
désignés chaque année par cette assemblée,
de deux agents de la délégation du HC.
- La décision d'affectation
de terrain était accompagnée d'un
numéro, de la situation et de la superficie du lot affecté,
du prix et de la nature et du délai de valorisation imposés
à l'affectataire.
|
 |
- Obligations de l'affectataire
-
L'affectataire devait dans un délai de 2
mois à la date de notification de la décision d'affectation
du lot de terrain s'engageait à consigner à
la Caisse de Dépôt et de Gestion la somme dont il
était redevable au titre du lot qui lui avait été
affecté. Si à la date du séisme, il était
propriétaire d'une parcelle bâtie dans la zone inconstructible,
il devait s'engager à faire abandon à l'État
de la propriété du terrain possédé
dans cette zone dès l'achèvement des travaux de
reconstruction.
L'affectataire devait satisfaire, dans des délais déterminés,
un certain nombre d'obligations telles que l'engagement
(pour un propriétaire immobilier de la zone inconstructible)
pour voir l'affectation devenir effective.
- Dans un délai de 6 mois, il devait déposer
une demande de permis de construire à la délégation
du HC à Agadir.
- Dans un délai d'un an à partir de la
date d'obtention du permis de construire, il devait avoir commencé
les travaux.
- L'affectataire devait avoir achevé la construction
dans le délai de valorisation fixé dans la
décision d'affectation qu'il avait reçue.
- Le non-respect d'une seule de ces obligations, constaté
par le délégué du HC entrainait la perte
du bénéfice de l'affectation.
Il s'agissait d'offrir des terrains à bâtir à
tous les constructeurs et en priorité aux sinistrés
désireux de participer activement à la reconstruction
de la ville. Il s'agissait également d'éviter
tout risque de spéculation et toute source de
contentieux risquant d'immobiliser de façon prolongée
les terrains nécessaires à la reconstruction. L'obligation
de valorisation était la condition préalable
à la passation du contrat entre l'État et l'affectataire.
En cas de non-respect d'une de ces obligations, la disposition
pouvait être retirée à l'affectataire selon
une saisine simplifiée de la commission qui prononçait
alors l'annulation de sa décision initiale.
- Cession des lots de terrains affectés
La cession des terrains affectés était décidée
par le HC sur présentation par les intéressés
du permis d'habiter ou du certificat de conformité
délivré par l'autorité compétente.
- Tout propriétaire de parcelle bâtie (à
la date du séisme) et exproprié, ayant rempli
au cahier des charges, bénéficiait d'un abattement
de 50 % sur le prix du lot qui lui était affecté
et ce jusqu'à concurrence de la valeur du terrain de remplacement
augmentée de 20 %.
- Tout propriétaire de parcelle immatriculée,
bâtie à la date du séisme, et située
dans la zone inconstructible, pouvait prétendre contre
abandon à l'État de la propriété,
à la cession, à titre gratuit, d'un lot d'une
valeur équivalente à celle du terrain de remplacement.
Si la valeur du lot affecté était supérieure
au précédent, le cessionnaire était tenu
de verser une soulte à l'État.
- L'État rétrocéda à tous ceux
(sinistrés ou pas, nationaux ou étrangers) qui
désiraient investir en construisant à Agadir
les terrains qui demeuraient libres après la redistribution
aux sinistrés.
La cession devait être constatée par un acte
passé entre le HC et l'acquéreur.
Le prix de vente et la soulte étaient alors déconsignés
au profit de la recette du Trésor d'Agadir à la
signature de l'acte de vente.
- Immatriculation
Ce n'était qu'après constatation de la valorisation
que pouvait être dressé l'acte de vente permettant
l'immatriculation foncière au nom du bénéficiaire.
L'acquéreur devait s'engager à requérir
dans un délai de 6 mois à compter du jour de l'acquisition,
l'immatriculation ou la mutation à son profit et en informer
l'inspecteur des Domaines.
Dès le 2ème trimestre
de l'année 1962, furent mis à la disposition
des sinistrés intéressés, les lots suivants
:
- Les 1ers lots du Centre Urbain ;
- Les parcelles de la 1ère tranche du lotissement
du Nouveau Talborjt ;
- Celles du Secteur des Villas du Nouveau Talborjt.
Pendant l'année 1963,
furent mis à disposition :
- Les lotissements du Centre Urbain ;
- Ceux du Secteur Résidentiel ;
- Ceux de la 2ème tranche du Nouveau Talborjt, du Secteur
Mixte et des Villas ;
- Ceux des Secteurs de l'Habitat ouvrier du Quartier Industriel
Sud.
Pendant l'année 1964,
les lotissements suivants :
- Des mêmes quartiers ;
- Les lotissements de la Zone hôtelière du Secteur
Touristique et Balnéaire à partir du second
semestre de l'année 64.
En 1965 : ouverture
de nouveaux lotissements :
- La 3ème tranche du Nouveau Talborjt pour le recasement
des moyens dommages des anciens quartiers de Talborjt, Founti,
Kasbah, Ihchach ;
- Le lotissement de l'Habitat économique du Quartier
Industriel d'Anza pour les petits dommages de ce quartier
;
- La 1ère tranche du lotissement d'Habitat économique
de l'Extension X pour le recasement des petits dommages
de l'ancien quartier de Yachech.
Le type de logement adopté fut une variante de la trame
Écochard 8x8 comprenant une cellule minimale avec adjonction
possible de pièces et d'équipements supplémentaires.
En 1966, le nombre de
parcelles affectées à des constructeurs
privés, sinistrés ou non, atteignait le chiffre
de 1450 (Janin, 20-21, a+u, 1966)
1966 - Répartition
des immeubles par type de constructions et par quartier :
- Immeubles à plusieurs niveaux du Centre Urbain
et du Secteur Résidentiel : 65
- Immeubles à 2 niveaux du Nouveau Talborjt :
543
- Immeubles à 2 et 1 niveaux (lotissement de la rue
de Marrakech au QI Sud) : 73
- Habitat ouvrier à 1 niveau du Quartier Industriel
Sud : 310
- Habitat économique à 1 niveau Anza et Extension
X : 200
- Villas du Secteur Résidentiel et du Secteur
Mixte : 230
- Bâtiments industriels : 12
- Hôtels du Secteur Touristique et Balnéaire
: 12
- Stations-services : 5
|
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- Robert Janin, administrateur (Aspects juridiques, fonciers
et financiers de la reconstruction d'Agadir, Revue africaine
d'architecture a+u n° 4, p. 21-27, 1966) ;
- Pierre Mas, (Plan directeur et plan d'aménagement, pp
6-17, a+u Agadir 4, 1966) ;
- Thierry Nadau, La reconstruction d'Agadir, Architectures
françaises Outre-Mer, Mardaga, 1992) ;
- M. Péré (Agadir, ville nouvelle, Revue
de Géographie du Maroc, 1967).
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